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vait concilier en lui les contraires, être docte Allemand et homme d’esprit en même temps, et il fit un jeu de mots en latin. « Vous voilà donc revenu, s’écriait-il dans sa note du 1er juin 1864 au chef du foreign office, vous voilà donc revenu à l’idée de 1848, à l’idée de partager le Slesvig ! Post tot discrimina… verum ! » Non moins heureux, on s’en doute bien, fut le prétendant. Il eut hâte de venir à Berlin et de tomber dans les bras de M. de Bismark (1er juin) ; mais là de grandes déceptions l’attendaient[1]. Le ministre de Guillaume Ier mettait des conditions à son cadeau : il demandait à pouvoir fortifier et occuper pour la Prusse tels points importans dans les duchés, Kiel entre autres ; il présentait une convention militaire qui incorporait les troupes du nouvel état dans l’armée prussienne et une convention maritime qui livrait à la Prusse les matelots nécessaires à sa future flotte ; il exigeait la cession du canal de navigation projeté d’Eckernförde à Brumsbuttel, c’est-à-dire l’empire sur les deux mers du Nord ; en un mot, il produisit le programme qu’il ne s’est pas lassé depuis de vouloir imposés à l’Autriche et au Bund… Le fier prétendant trouva les servitudes un peu lourdes, « Il ne pouvait accepter des conditions honteuses, on devait tâcher de gagner son cœur plutôt que de le lier par des argumens invariables : dans ce cas. il ferait de la politique prussienne. » M. de Bismark riposta « qu’il avait espéré avoir déjà gagné le cœur du prince ! » Le duc objecta « qu’avec un pareil système il ne pourrait se présenter à la diète et au peuple, » qu’il ne voulait rien promettre qu’il ne pût tenir, et il finit par demander à réfléchir. Sur une observation du président du conseil, que la Prusse pourrait bien se refroidir pour le champion du droit et de l’honneur allemands par suite de sa « conduite, » le duc répondit avec assurance que « sous ce rapport il n’avait aucune inquiétude, vu que l’affaire était déjà trop avancée pour qu’il fut possible de la ramener en arrière…’ Ainsi le croyait le pauvre prétendant ! Il connaissait bien peu les ressources de M. de Bismark ; mais il ne tarda pas à les apprendre dès le lendemain.

Le lendemain en effet (12 juillet) eut lieu la septième réunion de la conférence de Londres. Le télégraphe avait eu le temps de jouer, et M. de Brunnow demanda à faire à ses collègues une « communication » importante. Faisant son deuil du traité de 1852 qu’il

  1. M. de Bismark mit par écrit cet entretien pour le roi dès que le duc l’eut quitté. Tout récemment même, il a publié dans le Moniteur prussien du 1er juillet 1865 ce document intime, qui se termine ainsi : « L’impression générale de cette conversation se résume pour moi dans cette pensée, c’est que le prince ne nous voit pas avec un sentiment de reconnaissance, et qu’il nous considère comme des créanciers désagréables auxquels il est disposé à donner la moindre satisfaction possible en mettant en jeu l’appui des états des duchés et celui de l’Autriche. »