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née, le cabinet de Saint-James profita des vacances de la Pentecôte pour se mettre d’accord avec le cabinet des Tuileries sur un moyen de pacification, qui ne fut autre que… le partage du Slesvig ! Qu’on se garde toutefois de faire à la France ou même seulement à l’année 1864 l’honneur de cette initiative : dès 1848, lord Palmerston avait proposé le partage du Slesvig pour se tirer d’affaire[1], — si prompt était alors déjà le gouvernement anglais à sacrifier le Danemark, si peu soucieux surtout d’en venir avec l’Allemagne aux extrémités ! Du reste, — la moralité et la dignité du principe une fois écartées, — il est juste de reconnaître que le plan combiné dans les vacances de la Pentecôte présentait certains avantages. On séparait pour toujours les affaires danoises des affaires allemandes ; on cédait, il est vrai, au Bund la partie méridionale du Slesvig (qui, réunie au Holstein et au Lauenbourg, aurait ainsi fait partie de la confédération germanique sous un souverain laissé au choix des populations), mais on pourvoyait à l’intérêt stratégique de la monarchie écourtée en demandant pour elle une frontière (celle de la Slei), qui se rapprochait de l’ancienne ligne de défense du Danevirk. Enfin, et dans un intérêt d’équilibre, on demandait à la confédération « de ne pas ériger ni maintenir de forteresses, ni établir de ports fortifiés (Kiel) dans le territoire cédé par le Danemark… »

C’est avec ce plan que lord John Russell aborda la sixième réunion des plénipotentiaires (28 mai). Les Allemands lui opposèrent immédiatement un contre-projet décisif. Ils ne parlèrent plus d’une « union personnelle » possible : ils demandèrent « la séparation complète des duchés de Slesvig et de Holstein du royaume de Danemark, et leur réunion dans un seul état sous la souveraineté du prince héréditaire le duc d’Augustenbourg ! » Ainsi l’Autriche et la Prusse reconnaissaient cette fois pleinement les prétentions du duc d’Augustenbourg, les mêmes prétentions qui, au mois de novembre 1863, d’après M. de Rechberg « ne pouvaient soutenir un examen sérieux, » et qui devaienl bientôt être jetées par M. de Bismark aux orties. M. de Beust fut dans le ravissement. Il fut doublement heureux de cette séance du 28 mai, car d’un côté les deux puissances germaniques embrassaient enfin la cause du « champion de l’honneur et du droit allemands ; » de l’autre, l’Angleterre abandonnait à son tour le traité de Londres et cédait déjà une portion du Slesvig ! « L’aigle « de Dresde ne put s’empêcher d’épancher sa joie dès le surlendemain dans une longue note à l’adresse du comte Russell. M. de Beust tint à y prouver, entre autres choses, qu’il sa-

  1. La proposition en fut faite par lord Palmerston dans une note de M. Bunsen du 23 mai 1848, et rejetée par les Allemands par les Danois. Voyez aussi la note de M. de Beust au comte Russell du 1er juin 1864.