Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« surprises » et des principes nouveaux et subversifs. « L’Autriche avait besoin d’alliances fortes et sûres, » disait le général Manteuffel, et cet aphorisme devint le mot d’ordre de la situation ; il se retrouve jusque dans la dépêche confidentielle qu’envoyait M. de Rechberg le 7 mars à son ambassadeur, près la cour de Rome, — la seule cour qui élevât encore à cette époque, avec la France, sa voix à Vienne en faveur d’un « peuple catholique persécuté dans sa foi. » Certains esprits honnêtes et loyaux de la Burg poussaient à la mesure que recommandait l’aide-de-camp du roi de Prusse par des motifs de pure charité. Puisqu’à tort ou à raison on ne voulait rien entreprendre pour les malheureux insurgés, c’était un devoir d’humanité, pensaient-ils, de ne pas continuer un jeu cruel et d’empêcher l’effusion du sang. Ils pensaient juste, mais ils auraient dû également veiller à ce que « l’ordre » qui allait maintenant régner en Galicie n’eût pas du moins d’effet rétroactif, qu’on ne condamnât pas en 1864 des hommes et même des femmes au carcere duro et « aux fers avec jeûne » pour des actes commis en 1863 au vu et avec la garantie du gouvernement apostolique, que la justice impériale et royale, qui s’était si pertinemment et si longtemps enfoncé le bandeau sur les yeux, ne se mit pas tout à coup à rechercher avec le regard du lynx et à punir sans merci tous ceux des habitans qui avaient « aidé et contribué à la dernière rébellion dans un état voisin et ami. » Quoi qu’il en soit, un rapport solennel, contre-signé par tous les ministres, dénonçait à sa majesté l’empereur, avec force développemens et avec tous les argumens usités en pareil cas, l’état « déplorable et anarchique » qui régnait depuis un certain temps dans la province limitrophe du royaume de Pologne, — et le 29 février la loi martiale était proclamée en Galicie.

Le soulèvement dans le royaume de Pologne ne devait pas survivre un mois au coup qui venait ainsi de le frapper, et M. Drouyn de Lhuys ne put cacher au prince Metternich « le pénible sentiment de surprise » que lui avait causé la résolution « si inattendue » du gouvernement impérial et royal. Le ministre de France fit ressortir « la contradiction de cette attitude nouvelle avec les déclarations favorables à la Pologne que le cabinet de Vienne n’avait cessé de faire jusque-là, » et son excellence ajouta que ce changement imposait désormais à la France « une plus grande réserve et une politique plus conforme à ses intérêts dans les questions pendantes… » On, dut désormais rayer définitivement l’insurrection polonaise, de la liste des « éventualités » pour le printemps[1] ; mais ce qui frap-

  1. Il est permis de voir dans la correspondance secrète du prince Czartoryski avec le gouvernement insurrectionnel de Varsovie le reflet des dispositions du gouvernement français pendant cette crise. Au mois de février 1864, et tout en ne dissimulant pas ses doutes et ses appréhensions, le prince croyait encore à des « événemens » et à une tournure « peut-être meilleure. » Dans les derniers jours de mars, le prince écrivait « qu’il devait considérer sa mission comme finie, » que toute action était désormais impossible, et que le gouvernement français avait même dû renoncer à l’idée d’introduire la question polonaise dans les conférences de Londres. Le prince conjurait le gouvernement insurrectionnel de se dissoudre et d’engager le pays à suspendre une lutte sans espoir.