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la part des Danois (alors déjà refoulés vers l’extrémité du Jutland !), la mesure projetée ne peut être regardée que comme une précaution à l’égard de l’Autriche et de la Prusse… »

On se doute bien que M. de Bismark ne resta pas inactif devant la coalition qui essayait de se former. Dès le 13 février, des notes des deux grandes puissances germaniques mettaient les diverses cours allemandes en garde contre le « premier demi-rapport » du plénipotentiaire bavarois. Le ministre prussien ne niait pas la valeur scientifique de ce travail, il y reconnaissait même « des matériaux estimables (schaetzbar) ; » mais il pensait que la question exigeait « un examen profond et solide » (comme si M. de Pfordten, un ancien professeur de Leipzig, n’était pas suffisamment profond et solide !), et il croyait qu’il fallait attendre une meilleure occasion pour aborder un tel examen. Pour lui, il venait précisément de trouver des matériaux bien plus « estimables » à Saint-Pétersbourg et d’engager à ce sujet une négociation secrète qui fut un véritable coup de maître. Le président du conseil de Berlin se souvint à point que la maison régnante en Russie pouvait, le cas échéant, faire valoir des prétentions très sérieuses sur les duchés, et puisque le prince Gortchakov n’avait rien à lui refuser, il en appela sans hésitation à sa bienveillance accoutumée. Ce n’est pas que M. de Bismark voulût demander au vice-chancelier russe de transférer tout simplement les « droits » de la maison de Holstein-Gottorp sur la tête du roi Guillaume Ier : le jeu eût été trop grossier et n’aurait pas manqué de soulever des protestations ; mais il y avait tout près un grand-duc d’Oldenbourg, un membre de la branche cadette de la maison de Gottorp, et c’est à son profit que se poursuivait la transaction. Proche parent de l’empereur de Russie et voisin du roi de Prusse, le grand-duc d’Oldenbourg présentait des avantages précieux ; on pouvait au besoin tenter avec lui quelques échanges[1]. Avant toutes choses, il était dans l’intérêt évident de la Prusse de multiplier les compétiteurs autour de la « succession ; » l’abondance des prétentions et l’obscurité des titres ne devaient laisser en fin de compte d’autre droit clair et précis que celui de la conquête, comme le déclarait en effet plus tard la fameuse consultation des syndics de la couronne. Ce n’est que pendant les conférences de Londres que ce ténébreux arrangement avec la Russie éclata au grand jour et à l’étonnement de quelques naïfs ; mais, dès l’époque dont nous parlons, le ministre prussien en fit un usage discret, dans

  1. Dès cette époque en effet circulèrent des bruits sur un traité d’échange conclu entre la Prusse et l’Oldenbourg (voyez les dépêches de sir A. Buchanan du 19 et du 20 février). Le gouvernement d’Oldenbourg opposa à ces bruits une dénégation absolue, mais que l’avenir seul pourra confirmer.