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ceurs dont on se faisait ainsi mutuellement les tristes hommages ! La vérité est que, pendant ces deux années 1863 et 1864, la politique française n’a pas eu d’adversaire plus systématique, plus vigilant et plus habile que le ministre du roi Guillaume Ier. Attentif à étudier toutes les démarches du gouvernement français et à en pénétrer les vues, il ne se lassait pas de les contrecarrer en toute occasion, tantôt de les dénoncer à l’Europe en les défigurant, tantôt de les discréditer bien plus encore en se donnant l’air de les partager. Au moment où ses armées s’emparaient du Slesvig et s’avançaient jusque dans le Jutland, M. de Bismark n’eut au fond d’autre préoccupation que de faire pièce à la France dans toutes les combinaisons qu’elle semblait plutôt vouloir laisser se nouer d’elles-mêmes que resserrer d’après un plan fermement arrêté, de la devancer dans toutes les positions aperçues de loin, et, d’un regard bien plus curieux que pénétrant, de déblayer en un mot le terrain diplomatique de tous les « accidens » avant l’arrivée de ce printemps qu’on s’accordait alors à considérer comme l’époque qui devait mettre une fin à l’attitude purement expectative du cabinet des Tuileries.

Le souci principal et immédiat du ministre de Guillaume 1er fut, on le conçoit, cette troisième Allemagne, qui, momentanément abasourdie, mais non terrassée par l’impérieuse signification austro-prussienne du 14 janvier, commençait à se redresser et à compter ses blessures. Un seul trait suffira pour peindre l’état des esprits à cette époque : c’est que les troupes autrichiennes destinées pour le Slesvig durent faire le détour par Breslau et Berlin, par les provinces jadis ravies à Marie-Thérèse, pour ne pas traverser la Bavière, et la Saxe, dont on redoutait les manifestations populaires et hostiles ! Quelques mois auparavant, à la journée des princes, à Francfort, François-Joseph avait été salué avec des transports de dévouement et d’enthousiasme par les rois, ducs, landgraves et burgraves du Mein, du Rhin, du Lech et du Neckar ; Bavarois, Saxons, Wurtembergeois et Lichtensteinois crurent voir revenir les saturnia regna et les jours de Barberousse, et M. de Bismark invoquait le secours de l’Europe contre le saint-empire romain en train de renaître. Qui aurait prédit alors que bientôt les Kaiserliks éviteraient des contrées qu’enchantait naguère encore le nom des Habsbourg ? Ces Kaiserliks allaient pourtant à la délivrance des « frères » allemands sur l’Eider ! C’est que la situation faite aux états secondaires de la Germanie était vraiment intolérable. Ils avaient toujours été les premiers et les plus ardens à pousser à la grande œuvre nationale de la Baltique, ils s’étaient déclarés prêts à former une armée slesvico-holsteinoise sur le territoire de Cobourg, ils avaient com-