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la malheureuse nation, on se demanda si le Danemark ne pouvait pas avoir des torts, on fut le premier parmi les signataires du traité de Londres à dénoncer comme « une œuvre impuissante » le grand pacte de l’Europe avec la monarchie de Frédéric VII ! L’œuvre de 1852 ainsi solennellement condamnée, on ne s’en tint même pas au seul projet juste et sensé que la diplomatie française eût recommandé à cette époque, en 1852 (la cession absolue du Holstein à l’Allemagne et la réunion également absolue du Slesvig aux provinces extra-fédérales). On voulut en appeler au suffrage universel, on proposa de consulter « les vœux des populations » dans les deux duchés. Et comme il était impossible de se dissimuler qu’une pareille consultation, dans une pareille crise, achèverait d’emporter le malade, qu’il ne resterait rien de viable après une telle opération électorale, on invitait généreusement la Suède à recueillir les épaves de la nation « amie » et appartenant à la même race ! Dans certaines régions officielles et dans certains organes officieux, on faisait bon marché de la royauté de Christian IX, et on parlait avec emphase d’un futur grand état Scandinave : c’était, prétendait-on, le moyen de tout concilier, de contenter aussi bien les Allemands que les Danois, de satisfaire à toutes les « aspirations de l’avenir… » C’était simplement laisser sa proie à M. de Bismark pour courir après une ombre, l’ombre respectable de Calmar. La combinaison fût-elle de tout point réalisable et désirable, le moment, on l’avouera, était mal choisi pour venir conseiller au peuple assailli cette autre manière de self-immolation, pour parler le langage de sir A. Buchanan. Et puis n’était-il pas évident qu’un pareil arrangement ne pouvait avoir lieu qu’après une grande guerre européenne, et le prince Gortchakov ne déclarait-il pas bien haut que la Russie s’opposerait de toutes ses forces à la moindre tentative d’une union Scandinave ?…

Ce qui est certain, c’est qu’à Paris on croyait en effet à la guerre, à la grande guerre ; c’est qu’on y demeura longtemps sous l’impression que John Bull finirait par s’émouvoir aux provocations de l’Allemagne, par se mettre en colère et en mer, qu’il « nagerait. » Or pour cette éventualité on voulait « se réserver toute liberté d’action. » On s’étudiait donc à ne s’engager à rien et à ne décourager personne, à sourire à toutes les hypothèses et à multiplier les cordes à son arc. On traitait avec les tories tout en s’avouant qu’une administration Derby vaudrait autant ou encore moins qu’une administration Palmerston-Russell. On parlait union Scandinave à Stockholm, on soignait quelques « incidens » dans les principautés danubiennes, on savait qu’on pourrait toujours en faire naître en Italie ; mais on gardait surtout en vue deux choses : l’agitation des