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dans les considérations qui firent brusquer la paix de Villafranca. Après la paix, et quand on n’eut plus ni un homme ni un shilling à risquer, lord John Russell voulut bien prendre la nation affranchie sous sa verbeuse tutelle : il poussa de toutes ses forces à l’unité italienne, qu’il savait être importune au cabinet des Tuileries, il reconnut hautement les annexions dans sa célèbre dépêche à M. Hudson ; mais dans cette même dépêche il déclara renoncer généreusement pour la péninsule à la délivrance de la Vénétie !… Sans nous arrêter à cette tragédie de Syrie, où la pieuse et philanthropique Angleterre prit fait et cause pour ceux qui versaient à flots le sang chrétien, sans parler de l’aventure du Mexique (il se peut en effet que la créance Jecker fût par trop véreuse), ne suffit-il pas de rappeler en dernier lieu les négociations au sujet de la Pologne ? « C’est selon moi, disait à ce sujet lord John Russell avec candeur et avec un trait détourné contre la France[1], c’est selon moi une des choses les plus cruelles du monde que d’encourager un peuple à prendre les armes dans l’espoir qu’on lui viendra en aide, quand on n’a pas l’intention de le faire. » Comme si le gouvernement britannique n’avait pas été le premier à encourager les malheureux combattans des bords de la Vistule par cette mémorable campagne diplomatique qu’il inaugurait avec tant de bruit, dans laquelle il entraînait le cabinet des Tuileries, d’abord très récalcitrant, et qu’il devait clore en se déclarant satisfait du régime de Mouraviev et en rétablissant « heureusement » et contre la France la parfaite harmonie entre les trois démembreurs de la Pologne !… Qu’après tout cela, après tant d’expériences amères et de déceptions cruelles, et rien que pour tirer l’Angleterre d’embarras, la France eût bénévolement consenti à exaspérer contre elle l’Allemagne comme elle avait déjà exaspéré la Russie, à faire une « démonstration maritime » qui pouvait aisément, qui devait même infailliblement faire éclater une guerre continentale des plus dangereuses, c’eût été là non-seulement de la part du cabinet des Tuileries la plus colossale des duperies, mais une véritable prime d’encouragement donnée à l’égoïsme brutal, heureux, qui aurait fini par se trouver sublime ! Les nations, aussi bien que les individus, ne doivent jamais être soustraites à la sainte loi de la responsabilité morale, et il y avait justice à le rappeler enfin à la Grande-Bretagne, dans cette question danoise du moins, que le foreign office avait soulevée lui-même par sa déplorable dépêche de Gotha. Il y avait justice à renvoyer cette fois la puissante Albion à ses propres ressources, plus que suffisantes du reste pour le cas dont il s’agissait, à lui laisser le choix

  1. Séance de la chambre des lords du 4 février 1864.