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sérieux. « Ce serait une chose comparativement facile pour l’Angleterre (ainsi s’exprimait M. Drouyn de Lhuys) de faire à cette occasion une guerre qui de sa part se limiterait toujours à des opérations maritimes, au blocus et à la capture des navires. Le Slesvig et l’Angleterre sont bien loin l’un de l’autre ; mais le sol de l’Allemagne touche au sol de la France, et une guerre entre la France et l’Allemagne serait la plus calamiteuse et la plus hasardée que l’empire pût engager. » Cette considération irréfutable, le ministre des affaires étrangères de France devait la reproduire plus d’une fois dans le cours de la négociation, et encore le 10 juin 1864 dans une très curieuse dépêche au prince de La Tour-d’Auvergne. « Une démonstration maritime, y lit-on, qui nous amènerait à tirer le canon entraînerait pour nous la guerre sur terre comme sur mer. Nous ne serions pas libres, ainsi que l’Angleterre, de limiter nos opérations selon notre seule volonté. Malgré nos efforts pour localiser les hostilités, nous réussirions difficilement à les empêcher d’éclater sur nos frontières. En admettant même que l’on ne dût pas s’attendre à une agression armée de l’Allemagne contre nous, il se produirait inévitablement, dans une question où l’amour-propre national est engagé à un tel degré, des manifestations que leur caractère ne nous permettrait peut-être pas d’endurer. » Ce n’est pas toutefois qu’une telle guerre, nécessairement agrandie, eût complètement répugné au cabinet des Tuileries : bien au contraire, elle le tentait, mais il pensait avec raison qu’il ne saurait s’y engager sans avoir obtenu l’assurance formelle d’un concours loyal et jusqu’au bout complet, — throughout, comme on dit de l’autre côté de la Manche, — de la part d’un allié aussi capricieux que méfiant ; il pensait en outre qu’à l’importance de l’entreprise devait naturellement répondre l’importance du résultat. « Une pareille entreprise, disait M. Drouyn de Lhuys dans la dépêche déjà citée, exigerait de nous le déploiement de toutes nos ressources et nous imposerait des efforts immenses. Devant une éventualité de cette nature, l’Angleterre serait-elle disposée à nous prêter un appui illimité ? Le gouvernement de l’empereur, en demandant aux grands corps de l’état leur concours, aurait à leur expliquer pour quels avantages le sang de la France va couler : le cabinet anglais nous mettrait-il à même de répondre à cette question, la première assurément qui nous serait faite ?… » La pensée de ces pièces officielles était claire et précise malgré le style diplomatique, et le gouvernement français la développa du reste à plusieurs reprises et avec une sincérité parfaite dans divers pourparlers confidentiels avec les différens hommes d’état de la Grande-Bretagne. Vers la fin de janvier 1864 notamment, le sou-