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nement français a été depuis l’objet de récriminations bien nombreuses. Des deux côtés du détroit, on n’a cessé de reprocher à ce gouvernement d’avoir cédé dans ces graves occurrences à un mouvement d’humeur et de rancune peu digne d’une grande politique. La France, a-t-on prétendu, aurait dû faire plus de cas des propositions du cabinet de Saint-James ; elle aurait dû saisir avec empressement l’occasion d’une guerre juste dans ses motifs, exempte de tout péril, et qui eût raffermi pour longtemps l’alliance avec l’Angleterre, si malheureusement compromise. Quelque autorité qu’on doive reconnaître aux voix qui ont porté ce jugement, et si généreux que pussent être les motifs de ces regrets souvent exprimés, il nous semble cependant qu’un examen attentif arriverait aisément à des conclusions de tout point différentes. Un esprit impartial, et qui voudrait se rendre un compte exact de la situation de l’Europe en 1864, ne saurait partager les opinions généralement accréditées en cette matière, et, loin de se plaindre de l’abstention du cabinet des Tuileries dans le litige sur l’Eider, il s’aviserait peut-être de regretter que cette abstention n’ait pas été plus complète encore et surtout plus franchement dessinée.

Il faut bien le dire tout d’abord : dans cette question danoise, si grave et si douloureuse qu’elle fût, il n’y avait pour le gouvernement français aucune de ces obligations morales, aucune non plus de ces considérations de sûreté ou d’influence qui commandent impérieusement à un grand pays le recours aux armes. La France n’avait pas, comme l’Angleterre, contracté à l’égard du Danemark ces engagemens d’honneur qui défendaient d’assister, les bras croisés, à la ruine d’un client malheureux ; elle n’avait pas pris sous sa tutelle la monarchie scandinave, dirigé ses conseils, imposé des démarches et des concessions sous peine d’abandon : elle avait, dès l’origine, gardé une sage réserve dans le différend, se bornant à rappeler de temps en temps le droit incontestable plutôt en témoin impartial qu’en champion décidé à mettre son épée dans la balance. Sans doute le cabinet des Tuileries avait apposé jadis sa signature à ce traité de Londres qui proclamait l’intégrité des états de Frédéric VII ; mais cet acte international, le gouvernement français l’avait signé au même titre que plusieurs autres puissances européennes, au même titre que la Russie par exemple, qui assurément était loin maintenant de vouloir le défendre à tout prix, au même titre que l’Autriche et la Prusse, qui le déchiraient ouvertement à la pointe de leurs baïonnettes. La France avait laissé protester plus d’une stipulation européenne au bas de laquelle se trouvait son nom, elle avait, entre autres, toléré la confiscation de la république de Cracovie, souffert pendant quarante ans la vio-