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ce qui était absolument de nécessité ou de profit, c’est-à-dire le charbon et le chargement. Ces navires, commandés et montés par des hommes résolus, que l’appât de primes énormes attirait en foule, se rendaient d’Angleterre aux Bermudes ou à Nassau, dans les Bahamas, deux colonies anglaises situées à des distances commodes de la côte américaine. Là ils recevaient leur chargement, apporté par des bâtimens de commerce ordinaires ; une fois chargés, ils partaient directement pour le port dont ils voulaient forcer l’entrée, calculant seulement leur vitesse pour arriver à une heure de nuit où il n’y avait pas de lune, devant la première ligne de croiseurs, car la garde était faite par plusieurs ceintures de navires de guerre, les uns tout à fait au large, d’autres plus en dedans, et enfin les derniers à l’ouverture même des passes. Généralement, tous ces croiseurs étaient à l’ancre, mais avec leur chaîne prête à être filée en quelques instans, et toujours sous vapeur. Dès qu’un coureur était aperçu, on se mettait à sa poursuite en annonçant sa présence à coups de canon et avec des signaux. Toute l’escadre de garde était alors sur pied et en éveil comme une meute en face du gibier, chacun cherchant à couper la route au contrebandier. Quelquefois on y réussissait, quelquefois au contraire c’était lui qui parvenait à pénétrer dans le port. Le plus souvent, lorsqu’il avait été aperçu à temps, il ne pouvait échapper à la poursuite qu’en se jetant à la côte ; son équipage l’abandonnait, et généralement gagnait le rivage sur ses embarcations. Les fédéraux attendaient alors le jour, soit pour essayer de renflouer le navire, si la chose était possible, soit pour le détruire à coups de canon, s’il était trop enfoncé et trop près des batteries ennemies. La meilleure chance du coureur de blocus était de ne pas être aperçu du tout, ce qui arrivait parfois dans les nuits très obscures ; mais enfin ce qui passait n’était qu’une goutte d’eau dans un océan pour les confédérés, partout enveloppés de ce vaste blocus. Ils recevaient quelques canons, des carabines, des accoutremens militaires, des souliers, des médicamens, du café et du sel, mais en très petites quantités, et à peine sortait-il un peu de ce coton et de ce tabac dont l’exportation, si elle eût été possible, leur eût valu des trésors. Ils auraient eu avec cela des volontaires pour combler les vides qui se faisaient dans les rangs de leur armée ; ils auraient eu du fer pour réparer leurs rails ; ils auraient eu enfin, au lieu d’un petit nombre-de navires, toute une flotte de bâtimens, cuirassés ou autres, pour aller rançonner New-York et incendier Boston. Le blocus rendait donc un service immense, un service indispensable.

Aussi les gens du sud cherchaient-ils tous les moyens de s’en délivrer, et l’on apprit bientôt qu’ils construisaient dans leurs ri-