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Le savant ne cherche donc pas pour le plaisir de chercher, mais pour le plaisir de trouver. Il cherche la vérité à cause du désir ardent qu’il a de la posséder, et il la possède déjà dans des limites qu’expriment les sciences elles-mêmes dans leur état actuel. Mais le savant ne doit pas s’arrêter en chemin : il doit toujours s’élever plus haut et tendre à la perfection, il doit toujours chercher, tant qu’il voit quelque chose à trouver. Sans cette excitation constante qui est donnée par l’aiguillon de l’inconnu, sans cette soif scientifique toujours renaissante, il serait à craindre que le savant ne se systématisât dans ce qu’il a d’acquis ou de connu. Alors la science ne ferait plus de progrès et s’arrêterait par indifférence intellectuelle, comme quand les corps minéraux saturés tombent en indifférence chimique et se cristallisent. Il faut donc empêcher que l’esprit, trop absorbé par le connu d’une science spéciale, ne tende au repos ou ne se traîne terre à terre, en perdant de vue les questions qui lui restent à résoudre. La philosophie, en agitant la masse inépuisable des questions non résolues, stimule et entretient ce mouvement salutaire dans les sciences, car, dans le sens restreint où je considère ici la philosophie, l’indéterminé seul lui appartient, le déterminé retombant nécessairement dans le domaine scientifique. Je n’admets donc pas la philosophie qui voudrait assigner des bornes à la science, pas plus que la science qui prétendrait supprimer les vérités philosophiques qui sont actuellement hors de son propre domaine. La vraie science ne supprime rien, elle cherche toujours et regarde en face et sans se troubler les choses qu’elle ne comprend pas encore. Nier ces choses ne serait pas les supprimer ; ce serait fermer les yeux et croire que la lumière n’existe pas. Ce serait l’illusion de l’autruche qui croit supprimer le danger en se cachant la tête dans le sable. Selon moi, le véritable esprit philosophique est celui dont les aspirations élevées fécondent les sciences en les entraînant à la recherche de vérités qui sont actuellement en dehors d’elles, mais qui ne doivent pas être délaissées par cela même qu’elles s’éloignent et s’élèvent de plus en plus à mesure qu’elles sont abordées par des esprits philosophiques plus puissans et plus délicats. Maintenant cette aspiration de l’esprit humain aura-t-elle une fin, trouvera-t-elle une limite ? Je ne saurais le comprendre ; en attendant, le savant n’a rien de mieux à faire que de marcher sans cesse, parce qu’il avance toujours.

Un des plus grands obstacles qui se rencontrent dans cette marche générale et libre des connaissances humaines est donc la tendance qui porte les diverses connaissances à s’individualiser dans des systèmes. Cela n’est point une conséquence des choses elles-