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Une fois que la recherche du déterminisme des phénomènes est admise comme but unique de la méthode expérimentale, il n’y a plus ni matérialisme, ni spiritualisme, ni matière brute, ni matière vivante, il n’y a que des phénomènes naturels dont il faut déterminer les conditions, c’est-à-dire connaître les circonstances qui jouent par rapport à ces phénomènes le rôle de cause prochaine. Toutes les sciences qui font usage de la méthode expérimentale doivent tendre à devenir anti-systématiques. La médecine expérimentale ne sera pas un système nouveau de médecine, mais au contraire la négation de tous les systèmes. Elle ne devra se rattacher à aucun mot systématique ; elle ne sera ni animiste, ni organiciste, ni solidiste, ni humorale : elle sera simplement la science qui cherche à remonter aux causes prochaines des phénomènes à l’état sain et à l’état morbide.

Ce que nous venons de dire relativement aux systèmes médicaux, nous pouvons l’appliquer aux systèmes philosophiques. La physiologie expérimentale ne sent le besoin de se rattacher à aucun système philosophique. Le rôle du physiologiste, comme celui de tout savant, est de chercher la vérité en elle-même, sans vouloir la faire servir de contrôle à tel ou tel système de philosophie. Quand le savant poursuit l’investigation scientifique en prenant pour base un système philosophique quelconque, il s’égare nécessairement dans les régions des causes premières. L’idée systématique donne à l’esprit une sorte d’assurance trompeuse et une inflexibilité qui s’accordent mal avec la liberté du doute que doit toujours garder l’expérimentateur dans ses recherches. Les systèmes sont tous nécessairement incomplets ; ils ne sauraient représenter tout ce qui est dans la nature, mais seulement ce qui est dans l’esprit des hommes. Or, pour trouver la vérité, il suffit que le savant se mette en face de la nature, qu’il l’interroge librement en suivant la méthode expérimentale à l’aide de moyens d’investigation de plus en plus parfaits, et je pense que dans ce cas le seul système philosophique consiste à ne pas en avoir.

Comme expérimentateur, j’évite donc les systèmes philosophiques, mais je ne saurais pour cela repousser cet esprit philosophique qui, sans être nulle part, est partout, et qui, sans appartenir à aucun système, doit régner non-seulement sur toutes les sciences, mais sur toutes les connaissances humaines. C’est ce qui fait que, tout en fuyant les systèmes philosophiques, j’aime beaucoup les philosophes, et je me plais infiniment dans leur commerce. En effet, au point de vue scientifique, la philosophie représente l’aspiration éternelle de la raison humaine vers la connaissance de l’inconnu. Dès lors les philosophes se tiennent toujours dans les