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lestes ; c’est pourquoi l’astronomie est condamnée à rester à tout jamais une science d’observation pure. « Sur la terre, dit Laplace, nous faisons varier les phénomènes par des expériences ; dans le ciel, nous observons avec soin tous ceux que nous offrent les mouvemens célestes[1]. » Parmi les sciences des phénomènes terrestres qui seules sont appelées à être des sciences d’expérimentation, les sciences minérales ont été les premières, à cause de la plus grande simplicité de leurs phénomènes, à devenir accessibles à l’expérimentateur ; mais c’est à tort qu’on a voulu exclure l’expérimentation de la science des êtres vivans, en disant que l’organisme s’isole comme un petit monde (microcosme) dans le grand monde (macrocosme), et que sa vie représente la résultante d’un tout ou d’un système indivisible dont nous ne pouvons qu’observer les effets sans les modifier. Si la médecine, par exemple, voulait rester une science d’observation, le médecin devrait se contenter d’observer ses malades, se borner à prédire la marche et l’issue de leurs maladies, mais sans y toucher plus que l’astronome ne touche à ses planètes. Donc le médecin expérimente dès qu’il donne un remède actif, car c’est une véritable expérience qu’il fait en essayant d’apporter une modification quelconque dans les symptômes de la maladie. L’expérimentation scientifique doit être fondée sur la connaissance du déterminisme des phénomènes, autrement l’expérimentation n’est encore qu’aveugle et empirique. L’empirisme doit être subi comme une période nécessaire de l’évolution de la médecine expérimentale ; mais il ne saurait être érigé en système, comme l’ont voulu quelques médecins.

L’expérimentation peut être appliquée à tous les phénomènes naturels de quelque ordre qu’ils soient, et cela se comprend, puisque l’expérimentateur n’engendre pas les phénomènes, mais agit seulement et exclusivement sur leur état antérieur, c’est-à-dire sur la condition physico-chimique qui en précède et en détermine immédiatement la manifestation. Quand l’expérimentateur refroidit un corps liquide pour le faire cristalliser, il n’agit pas sur la cristallisation, qui est la propriété innée de la matière minérale, il ne fait que déterminer la condition dans laquelle elle a lieu. Quand on chauffe à 100 degrés du chlorure d’azote et qu’il s’ensuit une explosion qui devient à la fois une source puissante de mouvement et de chaleur, on n’agit pas sur l’explosion elle-même, on ne fait qu’apporter une température de 100 degrés qui est la condition déterminante de l’explosion. Pour les phénomènes organiques, il en est absolument de même. Quand on a mis par exemple

  1. Laplace, Système du monde, ch. ii.