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lière a mis dans la bouche de son candidat docteur, à qui l’on demandait pourquoi l’opium fait dormir, la réponse suivante : Quia est in eo virtus dormitiva cujus est natura sensus assoupire ? Cette réponse paraît plaisante ou absurde ; elle est cependant la seule qu’on pourrait faire. De même, si l’on voulait répondre à cette question : « Pourquoi l’hydrogène, en se combinant avec de l’oxygène, fait-il de l’eau ? » on serait obligé de dire : « Parce qu’il y a dans l’hydrogène une propriété capable d’engendrer l’eau. » C’est donc seulement la question du pourquoi qui est absurde, puisqu’elle entraîne une réponse qui paraît naïve ou ridicule. Il vaut mieux reconnaître que nous ne savons pas, et que c’est là que se place la limite de notre connaissance. Nous pouvons savoir comment et dans quelles conditions l’opium fait dormir ; mais nous ne saurons jamais pourquoi.

Les propriétés de la matière vivante ne peuvent être manifestées et connues que par leurs rapports avec les propriétés de la matière brute, d’où il résulte que les sciences physiologiques expérimentales ont pour base nécessaire les sciences physico-chimiques, auxquelles elles empruntent leurs procédés d’investigation et leurs moyens d’action. Le corps vivant est pourvu sans doute de propriétés et de facultés tout à fait spéciales à sa nature, telles que la plasticité organique, la contractilité, la sensibilité, l’intelligence ; néanmoins toutes ces propriétés et toutes ces facultés sans exception, de quelque ordre qu’elles soient, trouvent leur déterminisme, c’est-à-dire leurs moyens de manifestations et d’action, dans les conditions physico-chimiques des milieux extérieur et intérieur de l’organisme. Mais dans les phénomènes vitaux pas plus que dans les phénomènes minéraux la condition d’existence d’un phénomène ne saurait rien nous apprendre sur sa nature. Quand nous savons que l’excitation extérieure de certains nerfs et que le contact physique et chimique du sang, à une certaine température, avec les élémens nerveux cérébraux sont nécessaires pour manifester la pensée ainsi que les phénomènes nerveux et intellectuels, cela nous indique le déterminisme ou les conditions d’existence de ces phénomènes, mais cela ne saurait rien nous apprendre sur la nature première de l’intelligence. De même, quand nous savons que le frottement et les actions chimiques développent l’électricité, cela nous indique le déterminisme ou les conditions du phénomène, mais cela ne nous apprend rien sur la nature première de l’électricité.

L’expérimentateur peut modifier tous les phénomènes de la nature qui sont à sa portée. Par une disposition que nous devons sans doute trouver fort sage, il ne pourra jamais agir sur les corps cé-