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« Sainte et bienheureuse, elle s’est endormie, le sept des calendes de février, après le coucher du soleil ; elle a été ensevelie le cinq, Honorius-Auguste étant consul pour la septième fois, Aristenète pour la première. »

Quitte de ses devoirs envers une mémoire sacrée, Jérôme put ramener ses regards à loisir sur lui-même, sur leur commune entreprise, sur leurs espérances déçues. Dans cette association de deux grands cœurs, les vulgaires calculs de l’intérêt n’avaient jamais pris place, et guère plus la prévoyance humaine. Le petit patrimoine de Dalmatie avait passé jusqu’à la dernière obole dans le monastère de Jérôme, sans regret pour son frère ni pour lui. La fortune de Paula et d’Eustochium s’était également fondue dans des aumônes parfois confuses et excessives, mais qui étaient toujours de la charité. Qu’allaient-ils devenir tous ? -Chasserait-il de leurs cellules, faute de pouvoir les nourrir, ces moines qui se formaient près de lui au goût des lettres en même temps qu’à l’orthodoxie de la foi ? Eustochium fermerait-elle aussi les couvens de sa mère ? Rejetterait-elle dans les dangers du siècle ces cinquante vierges dont elle s’était conservé la direction particulière, et qui étaient ses sœurs et ses filles ? Qui distribuerait du pain aux pauvres qui assiégeaient leur porte chaque matin ? Qui couvrirait la nudité des orphelins et des veuves ? Voilà ce que Jérôme se demandait avec épouvante. Il se demandait encore si ce gouvernement des monastères, qu’Eustochium avait partagé avec Paula, ne serait pas une trop lourde, charge pour elle seule, si débile de corps. Ne s’effraierait-elle pas d’une responsabilité terrible à tous les yeux ? Sa famille enfin, ses amis de Rome, ne réussiraient-ils pas à l’y ramener ? L’idée d’une dernière séparation à son âge, et sous le poids de tant d’infirmités, lui semblait plus cruelle que la mort.

Les pensées qui tourmentaient Jérôme agitaient, aussi l’esprit calme et réfléchi d’Eustochium dans la solitude de son deuil. Elle prit enfin un parti, comme elle savait les prendre, et se remit tranquillement à ses travaux. Jérôme un jour la vit entrer chez lui, tenant à la main le livre de Ruth, qu’elle le pria de lui expliquer. Elle semblait lui dire, comme autrefois, dans ces mêmes campagnes de Bethléem, la douce Moabite à Noémi : « Où vous irez, j’irai ; où vous demeurerez, j’y veux demeurer avec vous. Votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu. »


AMEDEE THIERRY.