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extrémités de la malade devinrent glacées, la vie s’était refoulée au cœur. Paula comprit que sa fin approchait, et, avec la joie calme d’un voyageur qui est sûr de rentrer au gîte, elle se mit à réciter ces versets du Psalmiste : « Seigneur, j’ai aimé la beauté de votre maison et le lieu où habite votre gloire. — Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des vertus ! Mon âme les désire et défaille à leur aspect. — J’ai voulu vivre pauvre et méprisée dans la maison de mon Dieu plutôt que d’être riche au domicile des méchans. » Lorsqu’elle avait fini le dernier verset, elle reprenait le premier. On lui fit quelques demandes auxquelles elle ne répondit pas. Jérôme alors, s’approchant de son lit, lui demanda avec douceur pourquoi elle se taisait et si elle souffrait. « Non, lui dit Paula en langue grecque, je ne souffre pas ; j’entrevois au contraire, je ressens déjà une paix immense. » Ce furent là ses dernières paroles. Fermant les yeux comme si elle eût voulu échapper au spectacle de la terre, elle ne fit plus que murmurer d’une voix de plus en plus faible les trois versets de psaume qui flottaient dans son souvenir. Son doigt, qu’elle tenait sur ses lèvres, y traçait incessamment le signe de la croix. Bientôt la respiration devint plus âpre, et l’agonie commença. Dans ce suprême combat du corps contre l’âme qui va le quitter, elle s’efforçait de redire en mots entrecoupés ces versets qu’elle aimait, et le dernier cri de sa vie, nous dit son biographe, fut encore une louange au Seigneur. Enfin elle expira le mardi 26 janvier de l’année 404, au moment où le soleil venait de se coucher. Elle avait alors cinquante-six ans et huit mois ; il y avait dix-huit ans qu’elle était arrivée en Orient et seize qu’elle habitait Bethléem.

Paula était morte, et l’on n’entendit autour d’elle ni lamentation ni plainte ; mais un concert de psaumes chantés dans toutes les langues de l’Orient et de l’Occident éclata tout à coup et remplit de ses échos la cellule et le monastère. Pendant sa longue maladie, dont on ne prévoyait que trop la fin, les évêques étaient accourus de tous les diocèses environnans, et Jean de Jérusalem, réconcilié, lui rendit les derniers devoirs. Quand elle eut été ensevelie, les évêques la déposèrent eux-mêmes dans le cercueil, et, élevant ce cercueil au-dessus de leurs têtes, ils le portèrent du monastère à l’église, tandis que 4’autres tenaient des lampes et des torches allumées. Placée au centre de la basilique, Paula y resta exposée pendant trois jours, le visage découvert. La mort n’avait altéré ni la gravité de son maintien ni la beauté calme de ses traits ; seulement elle était plus pâle et semblait dormir.

On peut dire que la Palestine entière assista à ses funérailles. Il n’y eut pas un couvent de moines, pas un monastère de nonnes, qui ne voulût s’y transporter, pas un ermite qui ne sortît de sa solitude pour rendre le suprême honneur à une pareille femme : y