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et toute leur obéissance, elle ne pouvait arracher à ses petits-fils ce dernier sacrifice de leur ensevelissement dans un cloître, secoua sur eux la poussière de ses sandales et repartit pour Jérusalem.

Elle vécut là quelque temps, solitaire, silencieuse et déjà morte au siècle. De son couvent du mont des Oliviers, comme d’un observatoire qui dominait les tempêtes du monde, elle suivait de l’œil la ruine de l’empire, et, le livre de l’Apocalypse à la main, elle en notait les degrés. Abîmée dans la contemplation des desseins de Dieu et insensible aux souffrances des hommes, cette sibylle des temps chrétiens s’éteignit au milieu de son travail, quarante jours environ après son retour dans la ville sainte.


V

Tandis que ces événemens se passaient à Rome, de grandes douleurs envahissaient les monastères de Bethléem, et les intrigues de Mélanie, la nouvelle défaite de Rufin, le nouveau triomphe de Jérôme, trouvaient à peine une place au milieu de préoccupations plus poignantes. La mort semblait s’acharner sur la famille de Paula, où les catastrophes se succédaient avec une rapidité effrayante. La tombe s’était à peine fermée sur Pauline que Rufina y descendait à son tour. C’était cette jeune fille, non encore nubile au départ de Paula, qui, debout sur le rivage, tandis que le navire s’éloignait, semblait envoyer ce reproche à sa mère à travers les flots : « Attends au moins que je sois mariée ! » Paula fut plus sensible à cette mort qu’elle ne l’avait été à toutes les autres : « Sa pieuse âme, nous dit Jérôme, en resta consternée. » Ces chagrins, joints à des indispositions répétées et à des excès de jeûne, ruinèrent sa santé, et vers la fin de l’année 403 elle prit le lit pour ne le plus quitter.

Sa maladie fut longue et douloureuse : la fièvre, qu’aucun soin ne put dompter, consuma ses forces jusqu’au bout. Durant tout ce temps, Eustochium montra quels trésors de tendresse et de sollicitude renfermait ce cœur que dirigeait une si austère raison. Elle semblait avoir pris domicile au chevet de sa mère ; elle la gardait d’un œil jaloux, tantôt soutenant sur des coussins sa tête vacillante, tantôt renouvelant l’air autour d’elle avec un éventail, tantôt réchauffant ses pieds, qu’un froid sinistre gagnait peu à peu. C’était elle qui faisait tiédir l’eau que Paula devait boire, qui lui présentait sa nourriture, qui faisait son lit, et nulle autre qu’elle n’avait le droit de la servir. La malade s’endormait-elle quelques instans, Eustochium courait à la crèche du Sauveur, mêlant les remèdes du ciel à ceux de la terre et suppliant Dieu avec larmes de la faire partir la première. Cependant le mal marchait toujours ; les