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chissaient le Rhin et inondaient la Gaule et l’Espagne, bientôt perdues pour l’empire. Quelques mois plus tard, ce fut le tour de la Bretagne, qui se déclara indépendante. Enfin, et, comme pronostic des dernières ruines, l’esprit de vertige s’emparait du gouvernement romain : Stilicon était assassiné par les ordres d’Honorius, son pupille et son gendre, et l’Italie resta sans défense. Alaric alors reparut. L’insolent barbare, qui ne trouva plus d’ennemis à combattre, rançonna Rome, et l’épargna, gardant sous sa main la ville maîtresse du monde, comme un jouet pour ses colères, ou un enjeu pour ses caprices de gloire.

Ces faits portaient avec eux une signification éclatante, et la cause en était claire pour des yeux non prévenus. La faiblesse du gouvernement romain, l’incapacité des empereurs, la discorde des ministres, les intrigues d’une cour peuplée d’eunuques et d’étrangers, et avant tout la mauvaise politique qui livrait l’aigle romaine à la garde des barbares, suffisaient pour tout expliquer ; mais le IVe siècle, absorbé par les passions religieuses, ne voulait rien voir dans les événemens de la terre qui ne vînt du ciel. A la faveur des malheurs publics qui le fortifiaient, le paganisme, relevant la tête, accusait le culte chrétien des maux de la patrie : tombé, aux jours prospères, par l’indifférence et le mépris de ses adorateurs, il se retrempait par la haine dans les calamités du temps présent. Le christianisme de son côté reprochait aux païens d’avoir excité la colère de Dieu, d’abord par leurs persécutions sanguinaires, puis par leur incrédulité opiniâtre ou leur scepticisme hautain. D’un camp à l’autre, on se faisait une guerre d’argumentation, d’injures, de menaces ; on se faisait aussi une guerre de prophéties. Les polythéistes déterraient des oracles annonçant à point, nommé la fin de la religion du Christ et l’anéantissement des chrétiens. Ceux-ci, les livres juifs et chrétiens à la main, proclamaient la chute prochaine de l’empire ; beaucoup y ajoutaient la ruine du monde actuel et l’avènement de l’antechrist. Les millénaires chassés de l’église y reparaissaient en grand nombre : le désordre était partout, dans les croyances comme dans les choses. Mélanie appartenait à cette secte, ou du moins elle avait apporté d’Orient on ne sait quel système de révélations apocalyptiques que son esprit ingénieux appliquait aux événemens présens, et elle laissa dans Rome près de beaucoup de gens la réputation d’une prophétesse.

« Mes enfans, disait-elle à sa famille, il y a bientôt quatre cents ans qu’il a été écrit : « La dernière heure approche. » Comment donc voulez-vous toujours rester dans les vanités de cette vie ? L’antechrist va paraître, ne redoutez-vous pas sa venue ? Des malheurs sans nombre s’apprêtent à fondre sur vous, et vous croyez jouir des richesses que vos ancêtres vous ont laissées ! » Ces paroles, re-