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trompa cette fois. La question de doctrine était trop grave, et la cour pontificale trop engagée. Rufin, sommé de venir se justifier devant le pape, avait blessé par un refus hautain la discipline que Rome travaillait à établir autour d’elle ; en second lieu, il avait été condamné dans un synode, et enfin l’empereur Honorius, conformément à la double décision du synode et de l’évêque, avait interdit la lecture d’Origène et la propagation de ses écrits : Rufin se trouvait englobé dans les dispositions du décret. Vainement Mélanie voulut-elle l’emporter de haute lutte près d’Innocentius en faisant mouvoir tous les ennemis de Jérôme, elle rencontrait partout ses amis, Pammachius, Marcella, Fabiola, toute l’église domestique qui l’avait admirée si longtemps, et qui la rejetait aujourd’hui de son sein. Il est même douteux que Rufin excommunié ait pu la venir visiter à Rome, le pouvoir temporel prêtant la main dans ces circonstances aux interdictions spirituelles. Devenue plus implacable encore par cet échec, elle attisait en tout lieu contre Jérôme le feu de la haine ; elle ne vivait qu’avec ses adversaires, et l’histoire nous la montre dans l’intimité de cet Apronianus à qui Rufin avait dédié son Apologie. Apronianus, dont la conversion, comme je l’ai dit, avait été commencée par le prêtre d’Aquilée, portait encore en ce temps la robe des catéchumènes. Sa dévotion était sincère, ainsi que celle de sa femme et de sa fille, qu’il aimait tendrement. Tous trois écoutaient à l’égal d’un docteur de l’église cette Mélanie qui avait vécu près des plus grands docteurs et visité les plus grands solitaires ; mais ils l’écoutèrent trop. Elle leur prêcha tant et si bien les délices de la vie monastique, qu’à son départ de Rome Apronianus et sa femme vivaient séparés et que leur fille était dans un cloître.

Le monde traversait alors une des plus sombres époques auxquelles la Providence l’eût encore réservé. Jamais la vie humaine n’avait été si précaire. La société politique n’attendait plus de lendemain. Chaque instant voyait tomber quelque morceau de l’édifice que la vertu romaine avait mis dix siècles à construire, et qu’elle s’était plu à croire éternel. Les attaques des barbares de toute race, Germains, Sarmates, Huns, Saxons, Éthiopiens, Numides, sur toute la circonférence de l’empire, étaient devenues journalières, ou plutôt il n’y en avait plus qu’une seule, générale, incessante. C’était maintenant vers l’Italie et Rome, cœur du monde romain, que la barbarie concentrait ses forces les plus irrésistibles. En 401, Alaric avait pénétré jusque dans la Vénétie ; en 402, il était maître des rives du Pô et marchait sur Rome, quand Stilicon le vainquit à Pollentia. En 406, Radghaise arrivait plus près : c’est à Fésules, au-delà de Florence, que le même Stilicon l’arrêta. Le dernier jour de cette année néfaste, les Vandales, les Alains, les Suevès, fran-