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dura la sainte psalmodie. Une crainte religieuse semblait les tenir en respect : on eût dit qu’ils s’associaient au chant sacré par leur silence même.

Durant le séjour de Mélanie et de sa parenté au monastère de Saint-Félix, la sainte, comme on l’appelait, fut l’objet de respects qui touchaient à l’adoration. S’il faut en croire le récit de Paulin, empreint d’ailleurs de beaucoup d’exagération, il se passa là des choses étranges, et qui montrèrent, suivant son expression, le servage et l’abaissement de la soie devant la bure. Les hommes jetaient aux pieds de Mélanie leurs toges de pourpre pour qu’elle marchât dessus, les femmes leurs voiles de lin brodé d’or ; ils demandaient à se couvrir de ses haillons : on eût dit qu’ils voulaient se communiquer, en l’approchant, la contagion de la pauvreté. Paulin accueillit pour son église, comme un palladium chrétien, ce morceau de la vraie croix que lui envoyait Jean de Jérusalem. Il en détacha quelques parcelles pour ses plus chers amis, et fit enchâsser le reste dans un riche ostensoir, que l’église de Nole conserva longtemps. Quant à la tunique de laine de Judée, cadeau de Mélanie, après l’avoir portée quelquefois, il en fit don à Sulpice Sévère, le plus cher de ses amis.

La première des affaires qui avaient amené Mélanie à Rome, la séparation de sa petite-fille et de Pinianus, ne semblait pas la plus aisée, car il fallait lutter contre un père, contre une mère, contre les époux eux-mêmes, qu’une tendre affection liait l’un à l’autre : toutefois, avec le temps, avec cette inflexibilité de caractère qui ne se laissait jamais détourner du but, Mélanie, installée au sein de la famille qu’elle voulait désunir, y parvint, en partie du moins, comme nous le verrons.

L’autre affaire, sur laquelle elle comptait davantage, échoua tout au contraire, et échoua complètement. La situation des choses semblait pourtant s’être améliorée depuis son départ de Jérusalem. Une mort imprévue venait d’enlever Anastase, le 27 avril 402, après trois ans et quelques mois de pontificat, et Innocentius lui succédait. Or Mélanie, se fiant sur la marche ordinaire des choses qui veut que le successeur dans une grande fonction réagisse contre son prédécesseur, défasse ce que celui-ci a fait et accorde ce qu’il a refusé, Mélanie, dis-je, avait pu croire qu’il en serait ainsi à l’égard de Rufin, et qu’Anastase l’ayant excommunié malgré la lettre de communion octroyée par Siricius, Innocentius n’aurait rien de plus pressé que de lever l’excommunication d’Anastase, surtout quand on lui en prouverait l’injustice. C’est de quoi elle se chargeait, et déjà elle se réjouissait de l’absolution de son ami, obtenue, pensait-elle, par son crédit et par ses soins. Mélanie se