Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient dans sa nature. Mélanie avait alors soixante ans, et son teint, hâlé par le soleil d’Asie, était encadré de cheveux gris. Elle portait une robe de grosse laine sans aucun ornement, et par-dessus sa robe un court manteau d’étoffe si rustiquement tressée, qu’on l’eût prise pour une natte de cette sorte de jonc qu’on appelle sparte : le tout était de couleur brune. Elle avait aussi amené avec elle une bête (cheval ou mulet) qui lui servait de monture à Jérusalem, animal si chétif et si laid, au dire des témoins oculaires, que l’âne d’Italie le plus humble paraissait à côté un coursier superbe. Quand il fallut partir de Naples pour Rome, Mélanie traça elle-même son itinéraire à travers la Campanie, et fixa une première halte à Nole chez le sénateur Paulin, son parent, qui s’était construit à un mille de cette ville une solitude contiguë à la basilique du martyr Félix. Elle lui apportait de la part de Jean de Jérusalem un morceau du bois de la vraie croix, et de sa part à elle une tunique tissue en Judée avec des laines provenant vraisemblablement de quelque pâturage fameux dans la Bible.

Paulin, averti d’avance de son arrivée, lui fit une réception dont il nous a laissé le tableau dans une lettre écrite en belle prose, très recherchée, très contournée, à la mode du temps. Prosateur estimé et poète en vogue chez les païens avant d’avoir renoncé au monde, Paulin continuait de l’être chez les chrétiens, dont il célébrait en vers les mystères et chantait les saints, quoique dans ses nouveaux ouvrages les puristes, et son maître Ausone en tête, pussent lui reprocher de négliger la langue, de décolorer la poésie latine en s’abstenant par système des périphrases et de métaphores mythologiques qui en font le charme, et de commettre enfin contre les Muses de pieuses fautes de quantité.

Voici comment il nous décrit l’apparition de Mélanie et de son cortège à leur débouché dans la ville de Nole.

« Nulle part, dit-il, on ne vit contraste plus curieux et plus plein d’enseignement que celui de la mère et des fils, dans leur appareil et dans leur tenue, et ce contraste fit briller à tous les yeux la gloire du Seigneur. Mélanie arriva la première, assise sur un bourriquet maigre, plus vil que tous les ânes du monde, tandis que derrière elle les sénateurs de son cortège, rivalisant de magnificence, nous étalaient, à l’envi les uns des autres, toutes les pompes du siècle. La voie Appienne étincelait et gémissait à la fois sous la multitude de leurs chevaux superbement harnachés, sous le roulement des chars couverts d’or, le balancement des litières, le croisement des véhicules qui l’encombraient ; mais un seul rayon d’humilité chrétienne effaçait ces splendeurs de l’orgueil. Les riches admiraient celle qui était pauvre, les profanes celle qui était sainte,