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famille. » Cette séparation volontaire, il est vrai, était soumise à plus d’un retour, et le vœu religieux fondé sur elle exposé à plus d’un danger : les exemples de cette sorte de parjure n’étaient pas rares, même dans les rangs ecclésiastiques élevés, où la séparation des époux était d’obligation canonique ; mais Publicola n’était pas plus partisan de celle-ci que de la première. Resté en cela plus Romain que chrétien, il voulait une postérité. Au milieu de ce conflit, l’aïeule crut sa présence nécessaire pour « museler les bêtes féroces » (ce mot désignait les parens), et tracer aux jeunes époux la route qu’ils devaient suivre : la femme avait alors vingt ans, le mari en avait vingt-quatre.

L’idée en effet était bien digne du fanatisme de Mélanie : aller briser la famille de ses petits-fils, comme elle avait brisé la sienne ; mais un esprit de vertige précipitait la société romaine dans l’abîme, où les plus nobles instincts de l’âme concouraient à l’entraîner. La terrible Mélanie allait donc traverser les mers, après trente-sept ans d’absence, pour désunir deux époux qui s’aimaient. Ce n’était point là toutefois ce qui pouvait inquiéter les solitaires de Bethléem et ce qu’ils pouvaient blâmer dans leur ennemie, car, à la mesure près, moins excessive chez eux, ils partageaient, sur la perfection de la vie monastique, l’opinion de plus en plus générale dans l’église ; mais ils soupçonnèrent à ce voyage un second motif qui les touchait de près, et ils avaient bien deviné. C’était le moment de la plus grande lutte entre Rufin et Jérôme. Rufin, en 401, avait été retranché de la communion romaine ; le pape Anastase l’avait condamné en même temps qu’Origène, dont un décret de l’empereur Honorius venait de prohiber les livres ; enfin un effort tenté par Jean de Jérusalem auprès de l’évêque de Rome dans le but de réconcilier Rufin ne lui avait attiré qu’un refus énoncé en termes nets et sévères. Mélanie voulait essayer si par son influence directe, aidée d’une puissante parenté, elle n’apporterait pas un poids nouveau dans la balance des conseils de Rome : c’était dans le naufrage de son ami une dernière planche de salut.

Ses préparatifs furent bientôt faits, et elle alla s’embarquer, contre l’habitude, à Césarée, avec plusieurs saints, c’est-à-dire, en langage du temps, plusieurs moines ou prêtres, qui voulurent l’accompagner jusqu’en Occident. Après vingt jours d’une traversée heureuse, elle aborda à Naples, où l’attendait sa famille. Publicola, Albine, leur fille, leur gendre, et quelques sénateurs, ses parens, s’étaient rendus dans cette ville pour la recevoir. Tous à peu près étaient inconnus d’elle, et de sa famille elle n’avait jamais vu que son fils, qu’elle avait quitté à cinq ans. Ils venaient dans le plus grand appareil de leur rang, et elle arrivait dans le plus humble de celui qu’elle avait choisi ; mais les contrastes violens