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sans postérité, inconsolable. Elle lui avait légué ses biens par testament, à la condition de les distribuer aux pauvres. Jamais dernière volonté ne fut plus religieusement accomplie, car Pammachius joignit aux biens de sa femme une partie des siens et se fit moine. Il voulut même présider en personne à leur distribution, et offrit en cette occasion à la ville de Rome un de ces spectacles chrétiens qui piquaient sa curiosité sans exciter sa sympathie.

Le paganisme, au temps de sa ferveur, eut ses libéralités funéraires, destinées à honorer la mémoire des morts : des repas donnés sur la tombe de celui qu’on pleurait, aux parens et aux amis, et des distributions de pain, de vin, de viande, de sportules enfin, aux cliens et aux pauvres. Pour les riches, ces distributions et ces repas étaient ordinairement périodiques, une rente constituée par le testament du défunt y devait pourvoir ; souvent aussi le legs était fait sous cette condition à une municipalité. C’était pour la famille une consolation, pour le mort un pieux honneur, qui réjouissait ses mânes dans la sombre nuit du tombeau. Quand la ferveur païenne déclina, l’orgueil prit sa place. On vit de riches célibataires, des matrones sans enfans, des patrons qui ne voulaient pas quitter leur clientèle en quittant la terre, instituer par leur testament de grands repas et de grandes distributions, à certains jours déterminés, près de leur demeure sépulcrale. Pour le riche sans famille, c’était un moyen d’échapper à l’oubli des vivans ; pour le patron superbe, c’était une sorte de revue de ses cliens passée encore après la mort. Le lieu consacré à ces réunions était habituellement le sépulcre même et ses alentours. Les riches y joignaient, comme salle de festin, tantôt un portique, tantôt un appentis temporaire ; quelquefois le testament désignait à cet effet le temple ou l’édicule de quelque divinité propice au défunt.

Cette coutume, sujette à plus d’un abus assurément, mais qui prenait sa source dans un sentiment respectable, passa du paganisme au christianisme. Les fidèles célébrèrent longtemps et célébraient encore à la fin du IVe siècle des repas funèbres sur les tombeaux des martyrs pendant la vigile de leur fête. Quant aux repas et distributions établis par testament en l’honneur de morts non sanctifiés, ils avaient pour théâtre à Rome l’église même de Saint-Pierre, et c’est là que le funeraticium chrétien de Pauline reçut son emploi.

Le sénateur Pammachius fit donc publier à son de trompe dans tous les quartiers de la ville qu’un repas suivi d’une distribution d’argent serait donné aux pauvres pour les funérailles de sa défunte épouse, et, comme on le pense bien, l’invitation trouva peu de rebelles. Dès le matin du jour fixé, Rome voyait défiler dans ses rues