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suffirait d’être débauché par nature pour être délié des devoirs imposés à ceux qui sont chastes ! Ta sœur est dans une erreur funeste. La loi de Moïse a défini par le viol la violence qu’une femme peut subir, et encore, si le viol a été commis dans une ville et que la femme n’ait pas crié, elle est réputée adultère. Quelle qu’ait été l’indignité de son premier mari, ta sœur vit en adultère avec le second, qu’elle le sache bien. Au reste, console-la, et tâche de l’amener à la pénitence. »

La prétendue sœur d’Amandus accepta sans murmurer l’arrêt du juge : elle aimait beaucoup mieux faire pénitence que de reprendre son premier mari, et elle avait quitté le second. Sur ces entrefaites, celui-ci mourut. Cette mort ne dégagea point la veuve du devoir de pénitence qu’elle s’était imposé. Fabiola se trouvait d’ailleurs au moment décisif de sa vie, celui où la religion devait l’emporter sur le monde, et non-seulement elle tint à manifester son repentir, mais encore elle voulut que cette manifestation fût éclatante et publique. Rome eut alors un spectacle incompréhensible pour tous ceux qui fermaient leur intelligence et leur cœur au souffle d’un esprit nouveau. La représentante de ces altiers Fabius, qui partageaient avec les Claude, dans l’histoire de l’ancienne république, le privilège de l’arrogance aristocratique et de la dureté, fit savoir à l’évêque de Rome qu’elle se sentait coupable d’un grand crime et désirait être admise à la pénitence publique. Les portes de l’église lui furent aussitôt fermées, jusqu’à ce que sa confession, suivie d’une absolution solennelle, permît à l’évêque de l’y faire rentrer. C’était le samedi saint, sous les portiques de la basilique de Latran, que se rassemblaient les pénitens de l’église romaine, attendant l’heure de la réconciliation et du pardon. Fabiola parut au milieu d’eux, les cheveux épars, le visage défait et creusé de larmes, le vêtement négligé et souillé de cendres. Elle se tint en silence, comme les autres, au-delà du seuil, dans l’attitude d’une profonde humilité. Toute la ville était accourue pour voir en cet état la matrone naguère si brillante de luxe et de beauté, et si fière du nom qu’elle foulait maintenant sous ses pieds. Le patriciat romain contenait à peine sa colère ; les chrétiens applaudissaient, l’église surtout triomphait. Elle constatait sa puissance jusque sur les lois, car le crime dont s’accusait Fabiola était un acte licite d’après la législation de son pays. L’église montrait par de tels exemples comment un droit nouveau sorti de son sein se portait déjà le rival et le réformateur du droit civil.

De ces épreuves sortit une nouvelle Fabiola, dans laquelle on ne reconnaissait plus rien de l’ancienne, excepté la bonté. Renonçant sérieusement au monde, celle-ci vendit tout son bien, établit des