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Fabiola refusa de les suivre. Elle avait assez d’une solitude que de pareils incidens pouvaient troubler, et, disant adieu à ses amis, elle s’embarqua pour l’Italie avec Océanus. Jérôme trouva au monastère la lettre du prêtre Amandus, qu’une main discrète y avait remise, et il apprit par elle le second des motifs qui avaient amené la fille des Fabius dans ce petit coin de la Palestine.

La lettre d’Amandus roulait dans son contenu sur certains points de dogme ou d’exégèse biblique dont ce prêtre demandait la solution à Jérôme ; mais un petit billet, d’une autre écriture vraisemblablement, était, renfermé dans le papier, et le petit billet portait ces mots : « lui demander si une femme qui a quitté son mari pour cause d’adultère et d’autres crimes encore, et qui en a pris un second par violence, peut rester dans la communion de l’église du vivant du premier, » Amandus énonçait dans sa lettre que cette consultation, il la faisait au nom d’une sœur qu’il avait. Amandus pouvait effectivement avoir une sœur, peu connue de Jérôme ; mais les faits se rapportaient si pleinement à la vie de Fabiola et à sa situation actuelle qu’il était impossible de s’y tromper, et le casuiste consulté ne s’y trompa point. Quelle était l’intention secrète de Fabiola ? Elle savait que ni son divorce, ni son second mariage ne l’avait brouillée avec l’église, et à ce propos le scrupule était un peu tardif. Désirait-elle apprendre si un second divorce et un troisième mariage rencontreraient la même indulgence ? Une fois le principe des secondes noces admis, pouvait-elle se dire, les troisièmes noces étaient de droit ; puis elle mettait en avant un cas de violence qu’il était bien difficile d’admettre. Quelles violences l’avaient conduite dans les bras de son second mari ? On n’en connaissait pas, à moins que ce ne fût la violence de la passion, l’entraînement irrésistible d’un fol amour. Le cas de conscience était bien délicat à traiter, si l’on devait conclure de là à la nullité du second mariage, et l’on conçoit que Fabiola eût rougi de demander en face à l’austère Jérôme, et pour elle-même, l’avis qu’elle sollicitait indirectement sous le nom d’une tierce personne. Celui-ci sentit quel danger recelait pour les mœurs cette doctrine de la soumission de l’âme par faiblesse aux instincts les plus déréglés, et, sans donner à entendre qu’il eût rien deviné, il répondit au prêtre Amandus comme s’il se fût agi de sa sœur. Sa décision fut nette et sévère : il ne pouvait y avoir, selon l’église, qu’un seul mari, le premier. « Quelle est donc cette violence dont parle ta sœur ? lui disait-il. En sommes-nous donc venus à ce point que les femmes regardent comme un cas de violence faite sur elles-mêmes leurs propres passions, un amour insensé ou la soif du plaisir ? Quoi ! cela suffirait pour exempter des peines de l’église ! Quoi ! Il