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la crèche, les merveilles d’un pays peuplé de tant de grands souvenirs, transportèrent d’abord Fabiola. Elle crut avoir trouvé le nœud de sa destinée, et supplia Jérôme de lui procurer une maison où elle s’installerait avec toute sa suite, ne comprenant guère autrement la solitude. Sans être une nouveauté pour elle, car elle avait l’esprit très orné, les études de Paula et d’Eustochium la charmèrent ; elle voulut s’y joindre, et Jérôme l’accueillit avec une bonté toute paternelle. Fabiola prit des livres et se plongea avec ardeur et délices dans l’étude de l’Ancien Testament, qui la piquait plus que celle du Nouveau. Son intelligence vive et perspicace, mais un peu légère, ne s’arrêtait guère à creuser un sujet, et dans son désir de savoir une question n’attendait pas l’autre. En face de cette pétulance, qui contrastait si fort avec la réserve d’Eustochium et la maturité de Paula, Jérôme restait court quelquefois, obligé lui-même de réfléchir, ou bien il avouait ingénument qu’il ne savait pas. « Non, non, cela n’est pas possible, s’écriait Fabiola avec une grâce enfantine ; mais je ne suis qu’une ignorante, et je ne comprendrais pas ce que vous avez à dire. » Elle désira connaître la raison profonde du costume assigné par la loi mosaïque au grand-prêtre Aaron et à ses successeurs ; Jérôme lui en donna l’explication symbolique dans un petit traité curieux qu’il dicta dans une nuit. Il composa aussi pour elle un autre traité sur les quarante-deux stations ou campemens des Israélites dans le désert, appliquant à chaque campement une instruction morale et présentant ce voyage des Hébreux vers la terre promise comme une figure du passage de l’homme en ce monde à travers les épreuves qui conduisent au ciel. Sous cette légèreté de Fabiola se cachait une bienveillance sans fard avec une charité sans bornes, et son séjour à Bethléem laissa parmi ses amis un souvenir que nous retrouvons vivant dans leur correspondance. Elle-même aussi cherchait à plaire. Dans une heure de doux épanchement, peut-être un soir, sous ces beaux arbres que Jérôme peignait si poétiquement à Marcella, Fabiola se mit à réciter des passages de la fameuse lettre qu’il avait écrite du désert de Chalcide à son ami Héliodore, pour l’engager à se faire moine : Fabiola l’avait trouvée si belle qu’elle l’avait apprise par cœur. On ne pouvait payer plus gracieusement son hospitalité.

Ils menaient réunis cette vie tranquille qu’Oceanus goûtait avec ravissement, et l’âme inquiète de Fabiola commençait à se calmer quand un cri de guerre retentit : « L’ennemi arrive ! Les Huns ont franchi le Caucase ! Ils assiègent Antioche, ils marchent sur Jérusalem ! » Tout cela était vrai. Par suite des intrigues criminelles du préfet du prétoire Rufîn pour enlever la direction de l’empire à Sti-