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fois, en France, on l’accusa d’être trop autrichienne, aujourd’hui les Allemands la trouvent trop française, pas assez autrichienne, dans ces lettres qui ont tout au moins pour elles la vérité morale, — et c’est peut-être le mobile le plus clair de cette campagne à coups de textes. Puis viennent ceux qui se laissent un peu trop aller à croire du premier mouvement que tout ce qui se dit en Allemagne est un article de foi, que nous sommes des enfans en critique, que nous sommes tout à fait inaptes à discerner le vrai caractère d’un document français ; puis arrivent ceux qui se sentent secrètement froissés de tout ce qui relève une reine, qui croient bonnement la révolution intéressée à laisser se perpétuer de vieilles accusations, comme si la révolution avait besoin pour se grandir de ces immolations de renommées. Au-dessus de ces nuages cependant, Marie-Antoinette apparaît dans sa séduisante et douloureuse majesté, suppliciée durant sa vie, objet de contestation après sa mort, et résumant dans sa personne les perplexités d’une époque, les grâces de la femme et les fiertés de la reine.

Je ne veux point dire, on le comprend, qu’il faille se montrer facile pour toutes les exhumations et ouvrir complaisamment les portes de l’histoire à l’invasion des documens apocryphes ; mais, en fin de compte, quelle est la correspondance, si authentique qu’elle soit, qui résisterait à ce système d’étroite et rigoureuse procédure, allant chercher partout, dans une variante, dans une apparente contradiction, dans une nuance de langage, un texte de condamnation pour faux témoignage ? Tenez, voici cette autre copieuse correspondance de Mme Du Deffand, qui n’est point nouvelle, mais qui reparaît aujourd’hui, rajeunie, rassemblée, coordonnée et commentée par un écrivain fort zélé dans ces matières, M. de Lescure[1] ; ouvrez une lettre du président Hénault à Mme Du Deffand qui est alors aux eaux de Forges : il vous dira que c’est incompréhensible, surnaturel, que depuis six jours il n’a rien reçu, — d’où on pourrait conclure, tout aussi péremptoirement que pour Marie-Antoinette, que les lettres écrites dans l’intervalle par Mme Du Deffand et reproduites aujourd’hui, quoique le président se plaignît de ne les avoir pas reçues, sont évidemment supposées, — qu’en somme un violent soupçon doit peser sur toute cette correspondance. Et cependant elles sont bien vraies, les lettres de cet anodin et précieux président, et elles sont vraies aussi les lettres de cette femme spirituelle, mordante, agitée et dégoûtée, curieux phénomène moral dans un siècle qui fut lui-même un étonnant phénomène de licence et de grandeur. M. de Lescure a eu l’heureuse pensée de réunir ce qui était dispersé et de replacer Mme Du Deffand dans son siècle, dans son monde, au milieu de ses amis. Complète, cette correspondance ne l’est pas tout à fait malgré son titre, puisqu’elle ne contient pas les lettres à la duchesse de Choiseul, qui appartiennent à

  1. Correspondance complète de la marquise Du Deffand avec ses amis, classée dans l’ordre chronologique et augmentée de lettres inédites au chevalier de l’Isle, précédée d’une histoire de sa vie, de son salon, de ses amis, par M. de Lescure ; 2 forts vol. in-8o. Pion, 1865.