Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une lâcheté la déclaration qu’il avait faite. Il quitte aussitôt Jérusalem sans prendre congé de personne, court à Bethléem, et encore tout hors de lui, raconte à ses amis ce qui vient de se passer, ajoutant qu’il rompt désormais la communion avec cet évêque hérétique. Ce fut comme un coup de foudre tombé sur les monastères. Jérôme, qui ne pouvait approuver ni la précipitation d’Épiphane, ni la violence de son procédé, ni l’extension qu’il donnait à ses anathèmes contre Origène, essaya de changer sa résolution, le priant instamment de retourner à Jérusalem et de se réconcilier, s’il était possible. Les moines de Jérôme, Paula et ses filles joignirent leurs supplications à ces instances pour que la paix de l’église ne fût pas troublée. Épiphane parut céder et se remit en route pour Ælia, mais il ne fit que traverser la ville pendant la nuit et courut s’enfermer dans son monastère de Vieil-Ad, qui dépendait du diocèse d’Eleuthéropolis. Il adressa de là une lettre encyclique à tous les monastères de la Palestine pour les engager à rompre la communion avec Jean, si celui-ci ne donnait prompte satisfaction sur sa foi.

Il y eut dès lors deux camps à Jérusalem, celui de l’évêque et celui d’Épiphane : Rufin et Mélanie se jetèrent avec ardeur dans le premier ; Jérôme se rangea dans le second pour ne point abandonner un ami, et aussi parce qu’il ne croyait guère plus à l’orthodoxie de Jean qu’à la droiture de son caractère. Il ne le fit pourtant qu’avec hésitation et scrupule ; mais l’évêque l’affranchit de tout ménagement en mettant les monastères de Bethléem en interdit. Les prêtres de Bethléem, qui dépendaient de lui ainsi que l’église, reçurent l’ordre de ne plus communiquer avec Jérôme, ni avec Paula, et bientôt le troupeau des moines et des nonnes se vit fermer la basilique de la Crèche, où ils assistaient au saint sacrifice le dimanche. Leur désolation fut inexprimable. « Quoi donc ! s’écriait Jérôme indigné en s’adressant aux prêtres de Bethléem, suis-je retranché de l’église ? Suis-je excommunié ? Non, je ne le suis pas, car si je ne communique plus avec votre évêque, je communique avec celui d’Alexandrie, avec celui de Rome, je communique avec votre métropolitain de Césarée ! » Ce n’était pas précisément le titre qu’il fallait invoquer pour rétablir la paix entre Jean et lui. Les monastères se trouvèrent réduits à leurs prières en commun dans leurs propres chapelles, à l’exclusion du sacrifice, et ce fut là pour eux un cruel supplice. Jérôme, il est vrai, était prêtre, Vincentius était prêtre aussi ; mais ni l’un ni l’autre, comme je l’ai dit, n’avaient pu se décider jamais à remplir les fonctions sacerdotales : ils ne le purent pas davantage dans une circonstance si importante, tant étaient grandes à leurs yeux la dignité et la responsabilité du prêtre ! Il