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dans cette charte le palladium de sa liberté et de son intégrité, il l’embrassait dans l’étreinte suprême de l’amour et de la mort, il insistait avec d’autant plus d’ardeur sur une promulgation immédiate, qu’il n’était pas le seul à supposer chez son nouveau souverain de forts penchans germaniques. Christian IX ne pouvait se dispenser de donner un gage à son malheureux peuple, à la sécurité de son trône ; lord Russell lui-même, interrogé par le télégraphe (17 novembre), ne voulut point prendre la responsabilité d’une décision négative, lui qui dans toutes les autres circonstances ne ménageait guère les conseils péremptoires au gouvernement de Copenhague. Et c’est à un pareil moment que M. de Bismark s’avisait tout à coup de trouver la charte de novembre « incompatible » avec les intérêts de l’Allemagne, et que le comte Rechberg se plaignait des « procédés » du Danemark !… « Je ne pus cacher mon extrême étonnement à M. de Balan (l’envoyé prussien) à l’endroit de ces protestations inattendues, écrit sir A. Paget de Copenhague en date du 18 novembre. Rien de ce qui s’est passé, lui dis-je, dans les négociations avec M. de Bismark ne pouvait faire supposer qu’il était contraire à la loi en question ; jamais une parole n’a été prononcée à ce sujet par lui ni devant M. Buchanan ni devant l’envoyé danois à Berlin ; le débat avait toujours roulé sur le budget normal du Holstein, et sous ce rapport le gouvernement danois a satisfait à toutes les exigences de M. de Bismark. D’ailleurs le projet de constitution a été discuté pendant les six dernières semaines dans le rigsraad, c’était alors le moment de produire des objections, au lieu de venir ainsi à la onzième heure : un tel mode de procéder était étrange, pour ne rien dire de plus. — M. de Balan admit qu’on eût mieux fait de protester plus tôt, mais que ce n’était pas cependant de sa faute, attendu qu’il était vers ce temps en congé ! — On avait si peu de raisons, continuai-je, de croire M. de Bismark opposé à la nouvelle constitution, que, quant à moi personnellement, je pensais qu’elle fondait précisément l’état de choses que le cabinet prussien semblait si désireux de voir introduire. Je citai à l’appui le passage d’une lettre de sir Andrew Buchanan où le président du conseil de Prusse demandait un arrangement des affaires danoises, de telle sorte qu’il y eût un Danemark indépendant jusqu’à l’Eider et un Holstein indépendant jusqu’au même fleuve. C’étaient les propres expressions de M. de Bismark, et ce langage a été tenu non pas seulement à sir Andrew Buchanan, mais aussi à l’envoyé danois ; j’ai lu la dépêche de ce dernier rapportant le même fait. Avec quel semblant de raison, de-mandai-je, M. de Bismark peut-il donc venir maintenant accuser le gouvernement danois d’ajouter aux complications existantes, puisque la mesure dont il s’agit est précisément en accord parfait