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qu’avec une insignifiante escorte de cavaliers indigènes alors que l’absence de toute force locale organisée lui fournissait un si bon prétexte de promener à sa suite les détachemens turcs dans les districts où ils n’avaient pu encore pénétrer, et au besoin de les oublier en route. Ce respect des invincibles répugnances soulevées par l’uniforme turc ne parut pas surtout joué lorsqu’on vit le nouveau gouverneur se passer des nizam même là où il était exposé à payer de sa personne, comme au Kesraouan, où, nous le raconterons plus tard, il alla parlementer avec une véritable insurrection, et comme à Zahlé, où il eut à faire acte d’autorité au milieu d’un autre mouvement populaire. Les menaçantes et irritantes suspicions auxquelles Davoud-Pacha s’était heurté en arrivant fléchirent insensiblement devant ces habiles témoignages de confiance et de sincérité, et trois ou quatre mois s’étaient à peine écoulés que les chrétiens du pays mixte voyaient déjà en lui bien moins la personnification officielle qu’un palliatif accidentel de la solution anglo-turque.

L’effet ne fut ni moins marqué ni moins salutaire sur les Druses. En s’apercevant que les nizam étaient mis pour le moment au rebut, la plèbe des massacreurs, qui les courtisait pour s’en faire, selon le cas, des protecteurs ou des auxiliaires, leur tourna le dos avec empressement. Elle pouvait, d’autre part, conclure de la concession faite par Davoud-Pacha aux invincibles rancunes de Deir-el-Qamar que, s’il reconnaissait les griefs des chrétiens, il n’entendait ni favoriser, ni tolérer des représailles, puisqu’il en supprimait l’occasion, même au prix d’une illégalité. Soustraite ainsi tout à la fois aux encouragemens de la complicité turque et aux excitations de la peur, cette plèbe, brutalement, mais essentiellement calculatrice, ne trouvait plus à puiser dans le sentiment de son redoutable passé que des conseils de docilité et de prudence. Pas une protestation ne s’éleva contre l’interdiction de Deir-el-Qamar, dont au reste les notables druses recommandaient tous les premiers de ne pas évoquer le souvenir[1]. Pas un village druse ne fit mine de répondre

  1. A Deir-el-Qamar et à Hasbaya, les Druses, grisés par l’exemple des soldats turcs avaient tué et violé des femmes et des filles, ce que n’a jamais toléré le point d’honneur, d’ailleurs si tolérant, des guerres locales. Ils disaient aux survivantes : « Si nous épargnons vos vies, c’est pour que vos cœurs soient brûlés. » — Un jour que, m’étant égaré, je demandais à un vieux Druse le chemin de Deir-el-Qamar, je ne reçus pour réponse que le regard farouche qu’aurait pu motiver une insulte.