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est encore une causerie sur les bonnes actions après tant d’autres causeries sur les œuvres de l’imagination et de l’esprit On peut raconter autrement, on ne racontera pas avec plus de facile bonne grâce et plus d’ingénieuse animation ; on n’enchaînera pas dans un tissu plus fin, plus industrieusement orné, toutes ces honnêtes et modestes actions qui ne sont pas des plus éclatantes, il est vrai, qui n’ont rien d’exceptionnel, mais où se peignent des âmes simples, dont le moindre mérite est de n’avoir jamais songé à la couronne académique qui va les chercher : une pauvre institutrice de Bretagne élevant les enfans, soignant les malades, devenue la providence du village, une bonne grainetière de Paris dévouant sa vie à la charité, un brave sous-officier se partageant entre son devoir de soldat et sa mère, un vieux prêtre épuisant son patrimoine et s’oubliant lui-même pour donner à son pays une église, des écoles, des orphelinats, des ouvroirs. M. Sainte-Beuve se plaît à ces contrastes : le prêtre et le soldat, le bon curé de Laviron rappelant dans sa touchante imprévoyance le vicaire de Wakefield, la figure d’Ary Scheffer apparaissant à l’improviste dans la vie de la brave grainetière.

Pour ma part, toutes les fois que reviennent ces distributions de récompenses, il est une chose qui me frappe comme elle a frappé M. Sainte-Beuve : ces quelques exemples choisis avec art réveillent l’idée de tout un ensemble de choses pratiques suivant leur cours dans l’obscurité, à l’abri des changemens et des disputes bruyantes. Pendant que nous en sommes à discuter pour savoir comment on répandra l’instruction, si elle sera gratuite et obligatoire, universitaire ou cléricale, spiritualiste ou panthéiste, voici de pauvres gens qui n’entendent rien aux systèmes, et qui, dans la mesure de ce qu’ils peuvent, résolvent chaque jour le problème en attirant les enfans dans leurs écoles, en recueillant les orphelins pour les instruire. Pendant que nous dissertons à perte de vue sur la morale, sur la vertu, sur les devoirs sociaux, voici d’humbles créatures humaines qui pratiquent obscurément et sans bruit les choses dont nous parlons si bien. Elles n’ont point eu besoin d’entendre des discours sur la fraternité et la mutualité pour être secourables, pas plus qu’elles n’ont attendu les démonstrations économiques pour se livrer à leur labeur quotidien. Elles sont tout simplement honnêtes, dévouées, travailleuses, faisant le bien sans aucune pensée de gloire et sans l’ambition d’un rôle, dans l’humilité et le silence, et c’est ainsi, peut-on ajouter avec M. Sainte-Beuve, « c’est ainsi qu’au sein des sociétés humaines subsiste et se renouvelle incessamment cette dose de bien nécessaire à l’équilibre moral du monde. »

Que l’Académie distribue donc ses récompenses aux vertus qui lui sont signalées, — pourvu qu’on n’en attende pas une influence démesurée sur le mouvement de la moralité universelle, — rien de mieux, comme aussi il est juste que les œuvres de l’esprit aient leurs couronnes, pourvu qu’on n’en attende pas non plus des effets bien décisifs sur le progrès de l’intelligence contemporaine. On pourrait même dire peut-être, à ce point de