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La doctrine de Desmoulins n’est pas nouvelle. Déjà, dans l’antiquité, Érasistrate l’avait défendue, et il expliquait la supériorité intellectuelle de l’homme par le nombre de ses circonvolutions. Galien lui répondait : « Je ne partage pas votre avis, car d’après cette règle les ânes, étant des animaux brutes et stupides, devraient avoir un cerveau tout à fait uni, tandis qu’ils ont beaucoup de circonvolutions. » Leuret de son côté, tout en reconnaissant la valeur du critérium proposé par Desmoulins, montre qu’il n’est pas rigoureusement significatif. Il conteste en particulier cette proposition de M. Flourens, que les ruminans ont moins de circonvolutions que les carnassiers. Au contraire l’avantage est tout entier du côté des premiers ; or on ne conteste pas qu’ils ne soient très inférieurs aux autres en intelligence. « Pour la forme générale, pour le nombre et l’étendue des sous-divisions, pour l’arrangement des circonvolutions, le mouton approche de l’éléphant beaucoup plus près que le chien. Les éléphans et les singes ont par leur nature des facultés qui les élèvent au-dessus de la plupart des mammifères. Admettons qu’ils tiennent cette supériorité des circonvolutions supplémentaires dont leur cerveau s’est enrichi ; mais les chevaux et les chiens, privés des circonvolutions dont il s’agit, montent par l’éducation au-dessus du singe et de l’éléphant : où faudra-t-il placer leurs facultés nouvelles[1] ? » Un dernier fait remarquable, attesté et par Leuret et par Gratiolet, c’est que pour l’étendue et le nombre des circonvolutions l’éléphant est au-dessus de l’homme. Enfin la loi de Desmoulins doit être soumise, suivant M. Baillarger, à un nouvel examen. C’est ce qu’il a fait lui-même dans un savant mémoire[2] où il établit, contre l’opinion reçue, que le degré du développement de l’intelligence, loin d’être en raison directe de l’étendue relative de la surface du cerveau, semble bien plutôt en raison inverse[3].

L’autre condition, à laquelle on attache avec raison une grande importance comme caractéristique de l’intelligence chez les animaux, c’est le développement du cerveau d’avant en arrière. Plus

  1. Leuret, p. 577.
  2. De l’Étendue et de la Surface du Cerveau dans son rapport avec le développement de l’intelligence. — Bulletin de l’Académie de médecine, 1845. — Annales médico-psychologiques, t. VI.
  3. Il y a, dit M. Baillarger, à tenir compte de cette loi, « que les volumes des corps semblables sont entre eux comme les cubes de leurs diamètres, tandis que leurs surfaces sont entre elles comme les carrés de ces diamètres. » En d’autres termes, dans le grossissement des corps, la surface croit dans un moindre rapport que le volume. Si les dimensions d’un corps passent de 2 mètres à 3 mètres, la surface passe de 4 mètres carrés à 9 mètres carrés, le volume de 8 mètres cubes à 27 mètres cubes. Il suit de là évidemment que le cerveau de l’homme a une surface proportionnelle beaucoup moins grande que celle des mammifères inférieurs.