Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/988

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

significatifs qui manqueraient au cerveau du singe. Le système de M. Darwin est venu ajouter une excitation étrange à ces sortes de recherches, car cette hypothèse n’irait à rien moins, quoique l’auteur ne s’explique pas sur ce point, qu’à faire de l’homme, comme on l’a dit, un singe perfectionné. Cette conséquence, que M. Darwin avait tue et écartée par discrétion et par prudence, a été depuis ouvertement professée. M. Lyell n’en est pas trop effrayé, et M. Ch. Vogt en est ravi. Les Leçons sur l’homme sont un plaidoyer passionné en faveur de la parenté de l’homme et du singe. On comprend que tout le monde n’ait pas été également satisfait de cette belle généalogie. De là, je le répète, de grands efforts pour distinguer anatomiquement le singe de l’homme. Deux anatomistes célèbres se sont distingués dans cette recherche, Owen en Angleterre, Gratiolet parmi nous ; mais le premier va beaucoup plus loin que le second, et admet des caractères distinctifs que celui-ci n’a pas reconnus. Owen a trouvé un grand adversaire en Angleterre dans M. Huxley, et Gratiolet est fort combattu dans le livre de M. Vogt.

Je ne puis entrer dans le détail de ces discussions, qui sont du ressort exclusif des anatomistes. Je dirai volontiers que l’impression qui m’en est restée est plutôt favorable à ceux qui assimilent le cerveau du singe au cerveau de l’homme qu’à ceux qui veulent y voir deux types absolument différens[1] ; mais maintenant la difficulté reste aussi grande qu’auparavant. Comment deux cerveaux aussi semblables correspondent-ils à des facultés intellectuelles si inégales ? On invoque le volume et le poids. Le cerveau du singe est en effet moins gros que celui de l’homme ; mais on a vu que ce caractère était insuffisant, puisque le cerveau de l’éléphant est de beaucoup plus gros et plus lourd que celui de l’homme. Il y a plus, si l’on prend le poids relatif, il est des singes, par exemple les ouistitis, qui sont mieux partagés que nous. Qui ne voit les faux-fuyans perpétuels que l’on emploie dans cette question ? Si le poids fait défaut, on invoque la forme ; si la forme fait défaut, on invoque le poids : tantôt on parle du poids absolu, tantôt du poids relatif. Faut-il chercher la solution dans une résultante du poids et de la forme ? Cela est possible ; mais qui l’a démontré ?

On a essayé de résoudre la difficulté par un autre moyen. C’est en comparant le singe aux races inférieures de l’humanité, en

  1. Cependant un caractère vraiment distinctif paraît subsister. Il a été signale par Gratiolet : il consiste en ce que, chez les singes, le lobe moyen du cerveau parait et s’achève avant le lobe frontal, tandis que chez l’homme les circonvolutions frontales apparaissent les premières, et celles du lobe moyen ne se dessinent qu’en dernier lieu. Gratiolet se servait de cet argument contre la doctrine de M. Darwin.