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bien loin de comprendre la nature réelle des relations qui existent entre l’intelligence et la structure du cerveau[1]. »

M. Lélut combat également la doctrine qui fait de la forme cérébrale la mesure et le signe de l’intelligence. Il rapporte cette parole du vieil anatomiste Vésale, « que ce n’est point le crâne qui suit la forme du cerveau, mais le cerveau qui suit la forme du crâne, » et, résumant les travaux de MM. Lafargue[2] et Bouvier[3], il établit que le crâne lui-même reçoit la forme qu’exigeaient le genre de vie de l’animal, et par suite le genre de ses mouvemens. « Le cerveau et le crâne sont étroits et pointus quand l’animal fouisseur doit se servir de son front et de son museau pour creuser la terre, larges au contraire quand il lui faut pour se nourrir, pour voir et pour entendre, une large bouche, de vastes yeux, de vastes oreilles, entraînant le reste du crâne dans le sens bilatéral ; développés en arrière, hérissés de crêtes osseuses, lorsque les exigences de l’équilibre ou celles du mouvement nécessitent elles-mêmes une telle forme[4]. »

Il faut remarquer d’ailleurs qu’il est difficile de comprendre à priori, comme le dit avec justesse M. Lélut, quelle relation il peut y avoir entre une forme quelconque du cerveau et la puissance intellectuelle. Dans les fonctions mécaniques, la forme a une signification évidente, et on comprend très bien par exemple que les dents, selon leur structure, sont propres à broyer ou à couper ; on comprend l’importance de la forme pour « le tube digestif, les leviers osseux ou musculaires des membres, les parties articulaires du coude ou du genou. » Mais quel rapport imaginer entre la forme ronde, carrée, ovale pu pointue du cerveau et la mémoire, l’imagination, le jugement, la raison ?

Une dernière difficulté contre l’hypothèse d’une corrélation déterminée entre la forme et les fonctions du cerveau se tirera du fait même qui paraît le plus favorable à cette hypothèse, — la similitude du cerveau chez le singe et chez l’homme. On trouve en effet que l’animal qui a le plus d’intelligence, à savoir le singe, est précisément celui qui se rapproche le plus de l’homme par la forme du cerveau. Rien de mieux ; mais après avoir expliqué la similitude, il faut expliquer les différences. Ici certains anatomistes se sont crus obligés, pour sauver la dignité et la supériorité de l’espèce humaine, de trouver dans le cerveau de l’homme des caractères particuliers et

  1. Lyell, de l’Ancienneté de l’homme, ch. XXIV, tr. franc, p. 532.
  2. Appréciation de la doctrine phrénologique. — Archives de médecine, 1838.
  3. Mémoire sur la forme du crâne dans son rapport avec le développement de l’intelligence. — Bulletin de l’Académie de médecine, 9 avril 1839.
  4. Lélut, Physiologie de la pensée, t. Ier, ch. x, p. 328, et t. II, Mémoire sur les rapports du cerveau et de la pensée.