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pelle le système nerveux ; mais ce sont là de trop grandes profondeurs pour notre ignorance. D’ailleurs M. Claude Bernard ne s’est point occupé particulièrement de la question qui nous intéresse : pour dire la vérité, il ne la croit pas mûre pour la science. Il aime à dire que ce sera la question du vingtième siècle, et peut-être, dans son for intérieur, ce fin penseur la renvoie-t-il encore plus loin. Néanmoins les philosophes ont précisément la faiblesse d’aimer les questions qui sont encore à l’état de nébuleuses ; ils aiment ces problèmes où il y a du pour et du contre, comme donnant plus à faire à l’activité propre de l’esprit ; je soupçonne même qu’on les contrarierait, si des démonstrations irrésistibles les privaient du plaisir de la controverse et de la dispute. Quoi qu’il en soit, allons au fait, et cherchons à résumer dans une première étude, je ne dirai pas notre science, mais notre ignorance sur le siège et les conditions organiques de l’intelligence humaine.


I

On sait l’admiration qu’inspirait à Voltaire le troisième chant du poème de Lucrèce. C’est dans ce chant que le grand poète expose les rapports de l’âme et du corps, la dépendance où l’une est de l’autre, l’influence de l’âge, des maladies, de toutes les causes extérieures sur les progrès, les changemens, les défaillances de la pensée. « Dans l’enfance, dit-il, le corps est faible et délicat ; il est habité par une pensée également faible. L’âge, en fortifiant les membres, mûrit l’intelligence et augmente la vigueur de l’âme. Ensuite, quand l’effort puissant des années a courbé le corps, émoussé les organes, épuisé les forces, le jugement chancelle, et l’esprit s’embarrasse comme la langue. Enfin tout s’éteint, tout disparaît à la fois. N’est-il pas naturel que l’âme se décompose alors, et se dissipe comme une fumée dans les airs, puisque nous la voyons comme le corps naître, s’accroître et succomber à la fatigue des ans ? » Ces beaux vers d’un accent si grand et si triste résument toute la science des rapports du physique et du moral, et Cabanis, dans son célèbre ouvrage, n’a fait autre chose que développer, en multipliant les faits, les argumens de Lucrèce. Il n’entre pas dans notre pensée d’embrasser ce problème dans son inextricable complexité. L’influence de l’âge, des tempéramens, des climats, de la maladie ou de la santé, les affections mentales, le sommeil et ses annexes, telles sont les vastes questions où se rencontrent le médecin et le philosophe, où l’on cherche à surprendre l’influence réciproque du physique sur le moral, du moral sur le physique ; mais comme toutes les actions physiolo-