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fines et neuves sur les sens, l’imagination, les rêves, les hallucinations. Ce n’est pas d’ailleurs le seul travail de Gratiolet que nous ayons consulté. Outre ses deux belles leçons aux conférences de la Sorbonne, l’une sur le rôle de l’homme dans la création, l’autre sur la physionomie, il faut lire l’intéressante discussion qui a eu lieu en 1862 à la Société d’anthropologie entre lui et M. Broca, précisément sur les fonctions du cerveau[1]. Celui-ci, esprit net, rigoureux, sans déclamation, mais un peu systématique, incline à exagérer les rapports physiologiques du cerveau et de la pensée. Gratiolet au contraire, non moins positif, non moins versé dans la connaissance des faits, ayant même apporté à la science des observations nouvelles, est le premier à voir les lacunes de ces faits et les mystères qu’ils laissent subsister. Spiritualiste convaincu, il n’hésitait pas à faire la part de l’âme dans le problème de la pensée, et ne craignait pas de se laisser traiter de métaphysicien. Esprit sévère et élevé, inventif et penseur, Gratiolet à ces qualités éminentes en joignait une autre qui ne les déparait pas, l’éloquence. Tel était l’homme distingué qu’une mort subite et lamentable vient récemment d’enlever à la science anatomique et à la haute philosophie naturelle.

Dans un tout autre esprit, un savant éminent de l’Allemagne, M. Ch. Vogt, professeur à Genève, a publié des Leçons sur l’homme, sa place dans la création, dont il vient de paraître une traduction française par M. Moulinié. Ce livre est certainement d’une science profonde ; mais il est trop passionné. L’auteur paraît être plus préoccupé d’être désagréable à l’église que de résoudre un problème spéculatif. Il tombe lui-même sous les objections qu’il fait à ses adversaires, et on sent qu’il est sous le joug d’une idée préconçue, ce qui affaiblit beaucoup l’autorité de ses paroles. La science ne doit pas être sans doute la servante de la théologie ; mais elle n’en doit pas être l’ennemie : son rôle est de ne pas s’en occuper. L’hostilité la compromet autant que la servitude. Néanmoins le livre de M. Vogt mérite l’examen, et il serait à désirer, pour l’instruction du public, qu’un naturaliste autorisé voulût bien en faire une appréciation impartiale.

Nous ne devons pas oublier toute une classe d’ouvrages qui doivent être lus et étudiés par tous ceux qu’attire le grand problème des rapports du cerveau et de la pensée. Ce sont les ouvrages relatifs à la folie. Il serait trop long de les énumérer tous. Outre les grands et classiques traités de Pinel, d’Esquirol, de Georget, je signalerai surtout, parmi les publications qui touchent de plus près

  1. Voir Bulletin de la Société d’anthropologie, t. I et II.