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I.

M. Hall partit de New-London, dans le Connecticut, le 29 mai 1860, sur le trois-mâts George Henry, qui était expédié dans le détroit de Davis pour la pêche de la baleine, et sur lequel les armateurs lui avaient gracieusement offert le passage gratuit. Il n’était accompagné que d’un Esquimau, nommé Kudlago, qu’un baleinier avait amené aux États-Unis peu de temps auparavant et qui devait servir d’interprète. Le George Henry devait aller de conserve avec un autre bâtiment, le Rescue ; 29 hommes d’équipage, sous le commandement du capitaine Budington, composaient, avec les deux explorateurs, tout le personnel des deux navires qui devaient séjourner pendant dix-huit mois ou deux ans au milieu des glaces, sans communication aucune avec le monde civilisé.

La première partie du voyage, — des États-Unis au Groenland, tout le long des côtes de Terre-Neuve, du Labrador et du Groenland méridional, — ne présente qu’un médiocre intérêt. Néanmoins on observe avec curiosité les indices successifs par lesquels, à mesure que l’on s’avance vers le nord, se révèle la nature âpre du climat. D’abord apparaissent les oiseaux des mers polaires, les mouettes et les pétrels, qui abondent dans ces régions où la mer pourvoit aisément à leur subsistance, et qui n’en sortent guère que par hasard, entre deux pontes, pour faire un court séjour dans les latitudes plus chaudes. Un peu lourds de forme, ils ne se jouent pas moins à travers les vagues et happent au passage les poissons qui leur servent de nourriture. Plus loin, on rencontre les baleines par troupes plus ou moins nombreuses ; mais celles qui s’avancent ainsi vers le sud n’appartiennent pas au genre mysticète, ce ne sont pas des « baleines du Groenland ; » c’est la physale, espèce plus petite, plus vive en ses mouvemens, plus dangereuse à combattre, et que les pêcheurs n’attaquent pas, parce que leurs bateaux y courraient trop de risques et que d’ailleurs elle ne fournit que peu d’huile d’assez mauvaise qualité. A mesure que le navire poursuit sa route vers le nord, le voyageur peut aussi remarquer que le crépuscule du soir s’allonge et que le ciel reste illuminé par les clartés indirectes du soleil longtemps après que cet astre a disparu au-dessous de l’horizon, phénomène qui indique que l’on approche du cercle polaire, au-delà duquel le soleil cesse de se coucher pendant plusieurs jours au solstice d’été, et s’efface tout à fait pendant une période également longue au moment du solstice d’hiver. Enfin si l’on suit avec le thermomètre les variations de température de l’eau de mer, on s’aperçoit un jour qu’elle s’abaisse bien près de zéro, ce