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triote, le poète Collins, auteur comme toi d’un chef-d’œuvre, une ode au soir, où toute la musique du crépuscule a été exprimée. Qui donc connaît aujourd’hui l’ode au soir de Collins ? Aussi peu de personnes qu’il y en aura dans quelque cent ans qui connaîtront l’oncle Toby et le caporal Trim eux-mêmes !

Quam multa in sylvis autumni frigore primo
Lapsa cadunt folia…

Nous venons de voir Laurence généreusement adopté par sa famille, et ici nous poserons la question si controversée : Sterne fut-il un fils ingrat ? car la véritable réponse se trouve, croyons-nous, dans cette adoption. Un fait seul est certain, c’est qu’à partir de la mort du lieutenant Roger mistress Sterne se trouve complètement séparée de son fils et qu’on n’en entend plus parler. Tout ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle tenait une petite école en Irlande. Plus de vingt ans après l’ordination de Sterne et à la veille de sa grande célébrité, en 1758, on la voit reparaître un instant, dans des circonstances fort malheureuses, pour implorer le secours de son fils, qui lui est très affectueusement accordé ; puis, après cette rapide apparition, elle rentre de nouveau dans la nuit. Que s’était-il passé pendant ces vingt années entre la mère et le fils ? Nous ne le savons pas, et en l’absence de documens il est absolument impossible de dire quelle a été la conduite de Sterne. Nous ferons remarquer gue l’obscurité qui recouvre ces relations entre la mère et le fils s’étend à tous les autres épisodes de la vie de Sterne pendant ces vingt années. Chose curieuse, à l’exception de quatre lettres écrites à l’époque qui précéda immédiatement son mariage et adressées à cette miss Elisabeth Lumley qui devait devenir sa femme, la correspondance de Sterne depuis sa jeunesse jusqu’à sa célébrité a été perdue tout entière. Si nous possédions cette correspondance, nous pourrions nous prononcer en connaissance de cause, car nous y lirions la justification ou la condamnation de Sterne ; mais en l’absence de tout document comment oser soutenir une accusation aussi cruelle, qui ne repose sur aucun autre témoignage que celui d’Horace Walpole, bel esprit peu porté à l’indulgence, et qui aurait pu garder pour lui-même une bonne partie du reproche de sécheresse qu’il adressait à Sterne ? L’accusation de Walpole repose sur un fait malheureusement vrai, mais qu’il est facile d’expliquer. « Je tiens d’une autorité irrécusable, dit-il, que sa mère, qui avait ouvert une école, s’étant endettée par suite des extravagances d’une de ses filles, aurait pourri en prison, si les parens des écoliers n’avaient ouvert une souscription en sa faveur. Son fils était trop sentimental pour avoir aucune sensibilité. Un âne mort était pour lui plus