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un des plus gracieux caprices qui nous soient connus de cette artiste inépuisable en inspirations, la nature. Qui donc n’a présente au souvenir la mine espiègle de Sterne avec ses grands yeux éveillés, ses traits irréguliers et mobiles admirablement disposés pour la mimique, son nez railleur, ses lèvres faites pour le sourire et la moue, — l’ensemble le plus gentiment grimacier qui se puisse concevoir ? Il est à peu près inutile de demander si un pareil enfant présenta le type accompli de l’écolier appliqué et laborieux, de ce qu’on appelle au collège le bon sujet. La régularité pesante du travail convenait peu à un esprit composé d’élémens aussi subtils et mercuriels que le sien ; cependant il n’était point un paresseux, il lisait beaucoup, mais il n’aimait à travailler que lorsqu’il lui plaisait, et, dit la légende universitaire, une fois tous les quinze jours. Une anecdote qu’il nous a lui-même conservée sur ces années de collège mérite d’être mentionnée comme la preuve qu’en dépit de son peu d’application, des yeux clairvoyans pouvaient apercevoir en lui dès cette époque les talens de l’homme futur. Un jour qu’on avait reblanchi à la chaux les murs de la salle d’étude, le jeune Laurence s’avisa de grimper à une des échelles oubliées par les ouvriers et d’inscrire son nom en grandes capitales sur cette surface remise à neuf. Irrité de ce méfait, un des ushers, ce que nous appellerions un des maîtres d’étude, se mit en devoir de faire subir au coupable la peine du fouet ; mais le directeur de l’école, au grand étonnement de tous, blâma ce traitement et déclara que ce nom de Laurence Sterne resterait sur la muraille pour rappeler qu’un futur homme de génie avait été élevé dans le collège. Le nouvel historien de Sterne fait remarquer assez justement qu’il est douteux que le professeur au nom inconnu qui augurait si bien de l’avenir de Laurence ait vécu assez pour voir se réaliser son pronostic, car ce n’est qu’aux approches de la cinquantaine qu’il plut au capricieux Yorick de déchirer sa robe de prêtre et de montrer qu’elle recouvrait un des arlequins les plus lestes, les plus ingénieux, les plus fertiles en ressources qui aient jamais effleuré les épaules de l’humanité de leur batte légère, et par-dessous leur masque noir fait la grimace à l’hypocrisie et à la sottise.

Son père mourut pendant qu’il était encore à Halifax, laissant sa famille sans ressources ; mais son avenir ne souffrit en rien de cet événement. Son riche cousin, Richard Sterne, qui s’était si généreusement conduit envers l’enseigne, déclara qu’il servirait de père à l’enfant, et tint parole. Un de ses oncles, Jacques Sterne, archidiacre d’York, whig aussi âpre que son grand-père l’archevêque avait été tory ardent, ecclésiastique aux allures violentes et aux poursuites mondaines, pluraliste célèbre, qui s’entendait comme pas un à pra-