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comme fait encore aujourd’hui l’église d’Orient. Il comparait corn-plaisamment l’église au champ de la parabole, où l’ivraie doit pousser impunément, mêlée au bon grain, ou bien à l’arche de Noé, où les animaux purs et impurs avaient été également admis. Cette indulgence extrême fit que les mœurs chrétiennes se relâchèrent d’une façon déplorable. N’alla-t-il pas jusqu’à permettre aux patriciennes de vivre en concubinage avec des esclaves ou des hommes de condition inférieure, si, restées dans le célibat et ne voulant pas perdre leur rang par une mésalliance, elles ne pouvaient donner un autre cours à leur impudique ardeur ! Le résultat fut qu’on vit des femmes dites chrétiennes imiter les infâmes débordemens des matrones païennes et recourir à l’art des avortemens pour faire disparaître les suites de leurs honteuses faiblesses.

Telles sont les terribles accusations qu’Hippolyte ne craint pas de lancer contre l’évêque Calliste. Encore ne faudrait-il pas les admettre sans réserve ; mais il paraît difficile de croire qu’il aurait tout inventé. Laissons là les avortemens, dont après tout Calliste n’est pas responsable. L’indulgence accordée aux unions illicites est un fait bien précis et a, malheureusement pour la mémoire du trop complaisant évêque, un rapport étroit avec ce que nous savons par d’autres sources sur les mœurs de la société romaine à cette époque. C’est commettre un anachronisme évident que de s’imaginer qu’en autorisant de pareilles unions Calliste voulait combattre l’institution de l’esclavage. Au surplus, nous trouvons dans cette partie du livre d’Hippolyte la confirmation de ce que l’histoire du second siècle, étudiée de près comme elle l’a été ces dernières années, nous avait fait découvrir : c’est que l’autorité épiscopale n’a remporté sa victoire définitive qu’en se montrant plus indulgente que l’ancienne discipline ne l’eût permis et que les exaltés, montanistes et autres, ne l’eussent voulu. Voilà ce qui nous explique pourquoi le poète Prudence, recueillant sur Hippolyte des traditions déjà fort altérées, fit de lui un novalien, c’est-à-dire un adhérent d’une secte rigoriste qui ne se forma qu’après sa mort.

La suite donna tout à la fois tort et raison aux deux adversaires. Sous le rapport du dogme, Hippolyte est bien plus orthodoxe que Calliste. Il est évidemment dans le courant, dans la lignée orthodoxe. Il y est avec Tertullien, Irénée, Clément d’Alexandrie, car c’est leur doctrine, c’est la sienne qui, développée, corrigée et augmentée par Athanase, triomphera à Nicée ; mais sur le chapitre de la rigueur morale Hippolyte eut tort devant l’église. Celle-ci, et pour cause, se prononça toujours plus en faveur des pouvoirs indulgens. Il le fallait, sous peine de rester une minorité impuissante. On ne voit pas qu’après la mort de Calliste Hippolyte ait réussi à se con-