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que la désharmonie est la condition de l’harmonie absolue, et qu’au fond les contraires ne sont que les modes passagers de manifestation de l’identité éternelle. Ainsi l’univers pouvait être à la fois périssable et impérissable, temporaire et éternel. De même Noet pensait que la même personne pouvait réunir des attributs contraires, — l’infini en tant que père, être invisible, sans commencement, immortel, et précisément le contraire en tant que fils. Sabellius avait donné au système une couleur encore plus philosophique. Il distinguait en Dieu une monade et une triade. Tout ce qui est n’avait, selon lui, d’existence que dans la triade, qui, du sein obscur de la monade, se déploie en Père, en Fils, en Saint-Esprit, selon le moment de l’histoire que l’on considère. La monade, c’est donc Dieu muet, inintelligible, inactif, purement abstrait. Le Verbe n’est autre chose que le principe de mouvement immanent à la Divinité et la faisant sortir du silence éternel. Par conséquent, l’existence réelle de Dieu se confond avec celle du monde, et l’histoire du monde se confond avec l’histoire de Dieu. La période du Père est celle de l’Ancien Testament, celle du Fils est l’incarnation ; dans la troisième, Dieu, comme Saint-Esprit, vit dans l’ensemble des fidèles. Chacune de ces modifications de l’essence divine, une fois son œuvre spéciale terminée, rentre et disparaît dans le sein de la monade.

La doctrine de Noet de Smyrne fut répandue à Rome par ses disciples Épigone et Cléomène avec l’approbation et le concours de l’évêque Zéphyrin. Sabellius, encore jeune, se trouvait en même temps à Rome, et c’est un détail intéressant dont nous devons la connaissance au livre d’Hippolyte. Les deux partis tâchaient d’attirer ce jeune homme, qui sans doute promettait beaucoup, et Hippolyte prétend que s’il avait été seul à l’entretenir, il l’eût dirigé dans la bonne voie. Malheureusement Calliste, encore coadjuteur de Zéphyrin, l’entraînait par ses mauvais conseils vers le parti de Cléomène. Quant au vieux Zéphyrin, il ne songeait guère à subtiliser sur le dogme ; il disait ingénument au peuple : « Je ne connais qu’un seul Dieu, Jésus-Christ, et nul autre que lui, un seul Dieu qui est né et qui a souffert. » Toutefois Calliste avait soin d’ajouter, en se retranchant derrière la distinction plus apparente que réelle autorisée par la théorie sabellienne : « Ce n’est pas le Père qui est mort, c’est le Fils. » Hippolyte et les siens luttaient tant qu’ils pouvaient contre cette doctrine, à leurs yeux pernicieuse ; mais Calliste, fort de l’assentiment populaire, « vomissant le venin qu’il avait au fond des entrailles, » disait publiquement aux partisans du Verbe personnel et Dieu subordonne : « Vous êtes des dithéistes ! »

Cependant Zéphyrin mourut, et au grand chagrin d’Hippolyte les suffrages du peuple élevèrent Calliste à la dignité épiscopale. Il est