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ordinaire : il avait cessé d’appartenir à son maître, étant devenu servus pœnœ.

En Sardaigne, Calliste se rencontra avec des chrétiens victimes des persécutions antérieures. Quelque temps après, la belle Marcia, favorite de Commode, fut saisie du désir de faire quelque bien à l’église chrétienne, dont elle aimait beaucoup les doctrines. Elle fit donc venir au palais l’évêque Victor et lui demanda une liste nominative des confesseurs relégués en Sardaigne. Celui-ci la lui donna, mais se garda bien d’y inscrire le nom de Calliste, dont il connaissait la vie antérieure, et qu’on ne pouvait, à aucun titre, ranger parmi les martyrs. Marcia, s’étant fait délivrer par Commode des lettres de grâce, en chargea l’eunuque Hyacinthe, chrétien lui-même et presbytre de l’église, qui passa en Sardaigne et fit mettre en liberté tous ceux qu’on avait désignés à sa maîtresse. Calliste alors se dit victime d’une erreur, pria, supplia et fit tant que Hyacinthe crut bien faire de prendre sur lui de le ramener avec les autres.

Le voilà donc de retour à Rome, le voilà libre. Victor, l’évêque romain, fut médiocrement charmé de le revoir, mais il eut pitié de lui, et comme l’ancien maître de Calliste paraissait fort peu disposé à supporter patiemment son séjour à Rome, l’évêque l’envoya demeurer à Antium en lui allouant pour vivre une petite rente mensuelle. C’est de là qu’après la mort de Victor, son successeur Zéphyrin, dont Calliste avait su capter la confiance, le fit venir à Rome, et, chose surprenante, lui confia des pouvoirs étendus dans l’église, en particulier la direction du cimetière qui plus tard porta son nom[1]. Sa fortune ecclésiastique marcha depuis lors d’un pas rapide.

Tel est le récit d’Hippolyte. En bonne justice, il faut accorder à M. Dœllinger qu’il y a plus d’une chose louche dans ce tissu d’événemens qui se pressent. Non-seulement le portrait de Calliste n’est évidemment pas flatté, mais encore tout ne s’explique pas très bien. Ce qu’on a surtout de la peine à comprendre, c’est que Calliste, voulant mourir, s’expose bénévolement au terrible supplice des esclaves, à la crucifixion, en allant faire du tapage au beau milieu d’une synagogue juive dans l’idée qu’on le traduira devant des juges et que ceux-ci le condamneront à mort. Si j’étais l’avocat chargé de sa défense, je chercherais et peut-être bien je réussirais à prouver qu’il avait réellement des débiteurs parmi les israélites, qu’il était allé les trouver à la synagogue pour être sûr de les rencontrer, et qu’il n’avait fait du bruit que parce qu’on refusait de le

  1. C’est encore un de ces détails d’archéologie romaine dont nous devons l’explication au livre d’Hippolyte.