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pascal gravé sur la base va jusqu’en 333 ; mais on a pu l’inscrire quand même il ne servait plus à rien, comme rappelant l’un des titres d’Hippolyte à la reconnaissance des chrétiens. M. Winckelmann, s’appuyant sur des raisons d’archéologie, pense, il est vrai, que la statue doit remonter au IIIe siècle, et je n’ai rien à objecter à cette opinion d’un juge fort compétent ; mais cela ne prouve nullement qu’elle ait été destinée dès l’origine à représenter un chrétien, ni surtout un ecclésiastique. La bonne gravure que M. de Bunsen a mise en tête de son ouvrage, Hippolyte et son temps, permet de s’en faire une idée exacte. C’est la représentation d’un rhéteur, ou d’un philosophe, ou d’un poète ; ce n’est ni celle d’un presbytre, ni celle d’un évêque. On sait que l’art chrétien, très simple à son origine, consista surtout en emblèmes, en symboles mystérieux, en hiéroglyphes qui n’étaient pas compris de la masse païenne. Pas un seul signe de ce genre ne se trouve sur la statue. Elle est d’un dessin pur et correct, la tête est belle et grave, la pose noble. Le personnage assis, comme s’il allait commencer un discours, porte le pallium grec et la toge romaine. La cathèdre sur laquelle il est assis a pour support apparent un sphynx de chaque côté. Où peut-on reconnaître dans tout cela le moindre signe, le moindre emblème chrétien ? Je faisais récemment part de mes doutes à un professeur de Leyde dont toute l’Europe savante connaît et admire l’érudition, M. le docteur Cobet : il les confirma de la manière la plus complète et me rendit attentif à un fait trop peu connu, dont l’ignorance ou l’oubli a été la cause de bien des erreurs dans le champ de l’archéologie ; je veux parler de la coutume, endémique depuis Constantin, de métamorphoser les anciennes statues par un simple changement d’inscription. Le savant professeur me citait à ce propos les très curieux détails que renferment plusieurs discours de Dion Chrysostôme, qui compare déjà les statues de son temps à des acteurs changeant de personnage et de caractère. On alla parfois jusqu’à inscrire les noms de Nestor et de Priam sur le socle de statues qui représentaient de jeunes hommes, et il semble bien que le fameux saint Pierre de Rome n’est pas autre chose qu’un Jupiter métamorphosé de la sorte. La conversion de la statue d’un philosophe païen en statue d’Hippolyte pourrait donc fort bien dater de l’époque de Constantin. C’est alors que le souvenir d’Hippolyte, à qui sa rigidité morale, son martyre, peut-être aussi son opposition à des pasteurs ne plaisant pas à toutes leurs brebis, avaient valu des admirateurs chaleureux au sein du peuple chrétien, prit peu à peu les proportions de l’apothéose que nous voyons s’accomplir dans l’hymne de Prudence à la fin du IVe siècle. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est l’observation même faite par M. Dœllinger qu’à partir de la translation du siège de l’empire à Byzance, le grec,