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fatigante, l’état des idées et des croyances au temps d’Hippolyte, de façon à bien montrer aux épiscopaux anglais ce qu’était, ce que croyait au IIIe siècle un évêque fidèle, en lutte avec des papes au nom de l’orthodoxie compromise. Hippolyte devint, sous sa plume enthousiaste, une sorte de théologien idéal, de chrétien modèle, qui avait tout bien dit et tout bien fait. Il y joignit des dissertations assez longues, avec documens à l’appui, sur les anciennes liturgies, et toute une exposition philosophique de la vérité religieuse telle qu’il la concevait. Enfin il eut l’idée bizarre de faire parler Hippolyte lui-même, il le ressuscita en idée, lui fit faire le voyage de Londres pour lui montrer la grande exposition, et mit dans la bouche du vieil évêque du IIIe siècle tout ce qu’un savant baron allemand peut avoir à dire au public anglais du XIXe. Tout cela, malgré le ton très religieux, très croyant, de tout l’ouvrage, malgré le soin que l’auteur avait pris de faire observer que, s’il fallait taxer de rationalisme toute immixtion de la raison dans l’ordre religieux, Dieu lui-même serait le premier des rationalistes, tout cela exhalait une si forte odeur d’hérésie que les nerfs, toujours facilement irritables, de l’orthodoxie britannique en furent tout en émoi. Seule parmi les organes notables de l’opinion, la Revue de Westminster osa émettre un jugement favorable à l’ensemble du livre, ce qui était tout le contraire d’une recommandation aux yeux du public bien pensant. La haute et la basse église murmurèrent, et plus d’une voix cria au blasphème.

Cependant, on ne peut le nier, c’est à partir du séjour de M. de Bunsen à Londres que s’est dessiné ce mouvement de réforme théologique dont les Essays and Reviews et les ouvrages de l’évêque Colenso ont été dans ces dernières années les manifestations les plus saillantes, et qui fait aujourd’hui le désespoir des conservateurs tenaces des vieilles traditions anglicanes. Ce mouvement sans doute est dû encore à d’autres causes ainsi qu’à d’autres hommes, mais il est de fait que la personnalité sympathique de l’homme d’état théologien que l’Allemagne avait envoyé à l’Angleterre a beaucoup contribué à l’accélérer et à le fortifier. Voyez donc à quoi servent les cordons sanitaires que les sociétés religieuses sont souvent trop enclines à dresser autour d’elles et par quels chemins impossibles à prévoir la contagion des idées peut se glisser dans les enceintes les mieux gardées ! C’était bien la peine d’élever les étudians en divinity d’Oxford et de Cambridge dans une sainte horreur ou, pour mieux dire, dans le suprême dédain des travaux critiques de l’Allemagne, pour qu’un baron allemand, grand amateur de liturgies et autres antiquités inoffensives, s’en vînt semer l’ivraie à pleines mains dans le champ du Seigneur !

L’Allemagne de son côté voulut savoir si le savant ambassadeur