Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sympathies pour les idées religieuses énoncées par moi dans la Revue[1].

Toutefois en 1852 M. de Bunsen n’en était pas encore là, bien que sa seconde manière parût déjà dans les écrits qu’il composait en anglais et, chose assez bizarre, qu’il faisait traduire par d’autres dans sa langue maternelle. Il se déclarait incapable d’écrire un même livre dans les deux langues, bien qu’il les possédât parfaitement l’une et l’autre ; mais, je l’ai dit, il avait surtout à cœur de réformer la théologie anglaise, de la rendre moins routinière, moins défiante vis-à-vis de la critique allemande, moins contraire aussi à des évidences peut-être embarrassantes pour les théories du XVIIe siècle, mais auxquelles il faut pourtant se résigner, parce que ce sont des stubborn things, des choses têtues, comme le sont toujours des faits constatés et démontrés. Ce fut avec un enthousiasme vraiment juvénile qu’il s’empara de l’excellente occasion qui s’offrait à lui de donner une leçon de haute théologie à son aristocratique auditoire. Tout s’y prêtait. Il s’agissait d’un très ancien auteur chrétien imprimé aux frais de l’université d’Oxford et de son temps placé sur les sommets de la hiérarchie ecclésiastique, de plus orthodoxe zélé pour la conservation des saines doctrines, pénétré d’une sainte horreur de l’hérésie, et, pour combler la mesure, en guerre ouverte avec deux papes contemporains ! Si la haute église n’avait pas été contente, elle eût été bien difficile. Il est vrai que l’orthodoxie du vieux controversiste romain différait sensiblement de ce qu’on appelle de ce nom en Angleterre, et que, ne pouvant en conscience signer les trente-neuf articles, il eût couru grand risque d’être exclu des chaires de l’église anglicane : encore fallait-il voir ; on ne pouvait pas éconduire sans forme de procès un visiteur si bien présenté ! D’ailleurs son introducteur affirmait qu’il suffisait de parcourir son livre pour être en état de réfuter péremptoirement « le roman » élaboré à Tubingue sur les origines du christianisme, et cela n’était pas à dédaigner.

L’ouvrage en quatre volumes que M. de Bunsen publia en anglais sous le titre de Hippolytus and his Age fit donc grand bruit et éclipsa pour un temps les travaux moins brillans consacrés au même sujet. Voici en résumé comment M. de Bunsen établissait qu’Hippolyte, le saint canonisé dont la fête se célèbre chaque année le 13 août, est l’auteur du livre retrouvé par M. Miller. D’abord Eusèbe, Jérôme et la Chronique pascale font de lui un contemporain de l’évêque romain Zéphyrin, et affirment d’un commun accord qu’il a écrit un livre contre toutes les hérésies. Le patriarche

  1. Voyez dans la livraison du 1er novembre 1859 l’étude sur la renaissance des idées religieuses en France.