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troupeaux. La vallée voisine, celle d’Anniviers, où l’on admire le magnifique glacier de Zinal, qui descend du Weisshorn, et le pic à cimes jumelles, le Besso, est occupée par une population primitive qui a conservé les habitudes nomades des races antiques. Les quelques voyageurs qui parcourent cette région encore ignorée s’étonnent de rencontrer tant de demeures abandonnées. C’est que les rares familles qui vivent dans ces montagnes possèdent plusieurs habitations à différentes altitudes, où elles résident tour à tour suivant la saison, depuis les marges des glaciers où elles mènent leurs moutons jusqu’à l’entrée de la vallée, au-delà de la sombre gorge de Pontis, où elles vont exploiter les petits vignobles qu’elles possèdent dans la région chaude. Le val d’Herens et son hameau principal Evolena offrent les mêmes mœurs patriarcales ; on y parle un patois français très étrange, qui, avec ses locutions anciennes, pourrait donner lieu à une intéressante étude philologique.

Sur le revers méridional, la population est plus nombreuse et plus aisée, parce que le fond des vallées, qui descend plus bas, est réchauffé par le soleil du midi. Chose remarquable, les populations qui occupent tout le versant italien du Mont-Rose sont de race germanique : on dirait que le flot humain, pressé au nord, a débordé au-dessus de l’arête de partage. C’est sans doute pour s’opposer à ces envahissemens des tribus allemandes qu’a été bâti le fort Saint-Théodule au passage du Cervin, et, s’il en est ainsi, ce n’a pas été une précaution inutile, car le val Tournanche appartient exclusivement à la race latine. Les habitans d’origine germanique qui occupent les quatre vallées aboutissant au massif du Mont-Rose sont très actifs et très intelligens. Ils ne se contentent pas des produits de l’économie pastorale et du revenu de leurs alpes ; tous les hommes ont un métier qu’ils vont exercer loin de leurs hameaux, où ils ne reviennent que l’hiver, et chaque vallée a son métier spécial. Dans le val Chalant, tous sont scieurs de long, et ils descendent en Lombardie, où ils gagnent de bonnes journées. Dans le val de Lys, les jeunes gens s’adonnent au commerce, et partent pour l’Allemagne, où ils font, semble-t-il, de très bonnes affaires, car à chaque instant on rencontre dans cette vallée de vastes et somptueux chalets qui annoncent une grande aisance et beaucoup de goût. Dans le val Sesia, on travaille le plâtre et le stuc, et on les revêt de ces fresques à couleurs éclatantes qui charment l’œil des Italiens. Le métier va parfois jusqu’à l’art, et cela date de loin, car sur le mur extérieur de l’église de Riva, sous le portique, se trouve une fresque d’un peintre du XVIe siècle, Melchior de Enricis, qu’on attribuerait volontiers au pinceau d’un bon maître de l’école milanaise. Enfin, dans le val Anzasca, on s’occupe de mines, et l’on