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à l’improviste sur Gheled, le principal village des Beit-lbrahé, qui se défendirent bravement, mais furent accablés par le nombre. Leur kantiba, tombé au pouvoir de ces brigands, fut emmené à Massouah, où tout fut mis en œuvre, promesses et menaces, pour le faire musulman ; il resta inébranlable, passa plusieurs mois en prison, et finit par recouvrer sa liberté au prix d’une grosse rançon et en laissant son petit-fils en otage. Ces tentatives de conversion par le sabre se renouvelèrent les années suivantes, et auraient fini par triompher de la constance des Menza sans l’intervention inattendue de deux agens consulaires français et anglais, MM. Deleye et Plowden, qui, à l’occasion d’une nouvelle agression du naïb, appuyé du kaïmakan, adressèrent le 20 novembre 1854 au satrape de Massouah une protestation collective des plus fermes. Ils ne se bornèrent pas d’ailleurs à de vaines paroles : ils se rendirent au camp du naïb, qui était déjà entré en campagne, et, y trouvant des captives chrétiennes destinées au bazar de Massouah, ils les firent mettre en liberté. Grâce à cette intervention énergique, les Menza n’ont plus eu à subir de nouvelles agressions du prince Hassan ; mais ils ont à se défendre contre d’autres ennemis, contre les Abyssins de l’Hamazène par exemple, qui, peu de temps avant mon passage, avaient razzié le village de Beit-Echakan. On citait à cette occasion un mot presque romain d’un vieux choumaglié[1], nommé Djad-Oued-Agaba, à qui l’on vint annoncer que son fils avait été tué dans l’affaire. « N’a-t-il tué personne ? » demanda Djad. Et comme on lui répondit qu’il avait tué deux des agresseurs : « Tout est bien, dit-il ; il n’est pas parti sans un bon souper (senni darrèra.) » Le kantiba d’Echakan, Daër-Oued-Echâl, est aussi une figure originale. Un jour que le pays souffrait d’une sécheresse prolongée, il tira deux coups de pistolet contre les nuages, qui semblèrent lui obéir, car une demi-heure après ils versaient un véritable déluge sur la plaine. A quelque temps de là, Daër vint dans le pays des Bogos, où l’on se plaignait aussi d’une grande sécheresse. Entendant ces plaintes, il regarda fièrement le ciel et lui.dit : « Ne me connais-tu pas ? Je suis l’homme aux deux coups de pistolet ! » Un autre jour, il disait à un Européen en qui il avait assez de confiance : « Il y a parmi nous un ancien dire, c’est que les Francs posséderont ces pays-ci. Est-ce que les temps ne sont pas venus ? »

Tout en recueillant ces détails anecdotiques sur les Menza, j’observais leur pays, et mon attention était particulièrement appelée sur une fort belle montagne de moyenne hauteur, mais que l’abaissement des sommités voisines fait paraître comme un petit Olympe.

  1. Ainsi s’appelle la classe noble dans la peuplade des Menza.