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voit que trop, par l’effet de la détention en commun. Et qu’on ne s’y trompe pas, le nombre de ceux qui peuvent être rangés dans cette catégorie est beaucoup plus grand qu’on ne le pense d’ordinaire. Pour en être convaincu, on n’a qu’à se reporter aux chiffres suivans : d’après le compte de la justice criminelle de 1863, sur 165,514 prévenus jugés en police correctionnelle dans le cours de cette année, 62,783 n’ont été condamnés qu’à une simple amende (je reconnais qu’il est très probable que sur ce chiffre énorme il y a eu très peu de détentions préventives, je passe donc) ; puis 75,941 ont été condamnés à un emprisonnement de moins d’un an. Or on aura beau vouloir réduire la proportion, jamais cependant on ne pourra faire que sur un nombre aussi considérable il n’en reste encore beaucoup qui appartiennent à la situation exceptionnellement favorable que je viens d’indiquer. Que serait-ce donc si, passant de prévenus qui ont été condamnés à une simple amende ou à un emprisonnement de moins d’un an, on vient à considérer, toujours d’après le compte de 1863, le nombre des accusés acquittés par la cour d’assises (1,144) et des prévenus acquittés par les tribunaux correctionnels (13,762) ! Ne sera-t-on pas encore plus autorisé à dire que, si bon marché que l’on veuille faire de la présomption légale d’innocence qui leur est acquise, il faudra cependant et de toute nécessité reconnaître que, pour un grand nombre du moins, cette présomption est la vérité même ? Or, s’il en est ainsi, les uns et les autres n’ont-ils pas le droit de se plaindre, ceux-là de subir leur peine, ceux-ci leur détention préventive, à côté de ces malfaiteurs éhontés dont le contact est si douloureux et si avilissant ? Je sais bien que l’on a dit quelquefois qu’après tout il ne s’agit ici que d’un déplaisir, très vif, si l’on veut, mais de rien de plus : c’est en prendre, ce me semble, bien aisément son parti ; mais n’y a-t-il que cela ? Pour peu que l’on veuille porter plus loin ses regards, qui donc ignore que, rendus plus tard a la liberté, les détenus dont nous parlons auront à subir l’affreuse présence de ces anciens compagnons de captivité, qui ne leur épargneront ni les injures amères, ni les menaces violentes, ni les exactions incessamment renouvelées, et d’autant plus renouvelées sans doute qu’ils se recommanderaient par un plus grand amour du travail et la conduite la plus irréprochable ? Il est de règle en effet que, lorsqu’il s’agit de leurs pareils, les malfaiteurs sont toujours prêts à tout pardonner, sauf le retour au bien. La détention en commun est donc, à tout prendre, la plus lourde et la plus funeste aggravation de peine qui se puisse imaginer : d’un côté, malheur souvent irréparable pour ceux qui la subissent, de l’autre grand péril pour la société, gravement atteinte à son tour dans sa sécurité, et qui expie