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connaissent, vivent des mêmes souvenirs, s’animent aux mêmes espérances, et bientôt peut-être seront lancés encore une fois dans le même tourbillon, tandis que l’un des traits les plus vifs et les plus insignes du régime cellulaire serait que les détenus n’auraient jamais échangé, ni même pu échanger une seule parole ou un seul regard.

L’isolement absolu des détenus peut donc seul faciliter leurs rapports avec les patrons du dehors ; c’est beaucoup assurément, et cependant ce n’est encore que le moindre de ses avantages. On le voit bien, pour peu que l’on veuille pousser plus loin la comparaison entre les deux systèmes. Ici d’ailleurs les faits parlent si clairement et portent en eux-mêmes des enseignemens d’une telle évidence qu’il suffit de les énoncer. Ainsi n’est-ce pas une chose notoire que l’effet le plus certain et le plus direct de la détention en commun est d’endurcir de plus en plus les détenus dans leurs habitudes premières et de développer leurs plus mauvais penchans ? N’est-il pas avéré encore qu’il arrive ainsi, par un entraînement bien naturel, que les plus corrompus tendent sans cesse à ramener ceux qui le sont le moins à leur niveau, et qu’ils n’y parviennent que trop ? On ne peut pas ignorer non plus que c’est dans ce milieu que se forment ou se préparent ces terribles associations de malfaiteurs avec lesquelles la société aura plus tard à compter. Les rapports familiers et usuels des détenus en sont comme le principe et l’aliment. On se voit, on se compte, on se compare, la valeur et l’aptitude de chacun sont bientôt et très exactement cotées. Celui-ci, par son énergie et son audace, est plus propre aux entreprises hardies ; cet autre, plein de finesse et d’astuce, semble né pour les combinaisons habiles et raffinées : c’est de cette façon que les projets de toute sorte s’élaborent et mûrissent. On est donc prêt, et il ne s’agit plus que d’attendre l’occasion. Est-on bien venu à s’étonner après cela du nombre toujours croissant des récidives ? Il est tout simplement le produit net de la détention en commun.

Voilà la part directe de l’intérêt qui doit prédominer ici, l’intérêt général d’ordre et de sûreté. Voici maintenant quelle serait celle, qu’il ne faudrait pas absolument négliger, de l’intérêt des détenus eux-mêmes à un point de vue purement personnel : c’est qu’il y a là, quoi qu’on puisse dire, un devoir de tutelle et de protection qui a bien aussi ses très légitimes exigences. On le verra bien vite, si l’on veut descendre à quelques détails. Un détenu par exemple a commis une première faute ; ce n’était peut-être qu’un entraînement de jeunesse, le fait d’ailleurs n’engageait ni l’honneur ni la probité. Au point de vue de la moralité, le mal n’était donc pas irréparable : eh bien ! il peut le devenir, et il le deviendra, cela ne se