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prochemens ? Qui donc a jamais prétendu qu’il suffisait d’inscrire dans la loi la peine de mort pour que, par là même, le retour des crimes, auxquels elle serait applicable, fût à jamais impossible ? Personne assurément n’a jamais pu avoir cette pensée : ce n’est point de cela qu’il s’agit, mais bien et uniquement de savoir si, de ce qu’il se commet encore des crimes emportant la peine capitale, il y a lieu de conclure à l’impuissance absolue de cette peine. Or, pour de telles questions, le mieux serait sans doute, à mon avis du moins, de s’en tenir au simple bon sens, un peu aidé, si l’on veut, par la connaissance même la plus superficielle du cœur humain. Que si cependant on s’obstinait à en chercher ailleurs la solution et à invoquer particulièrement l’expérience[1], peut-être me serait-il permis alors d’évoquer à mon tour de vieux souvenirs : je dirais donc, que parmi les hommes que leurs fonctions avaient le plus rapprochés des malfaiteurs je n’en ai pas, dans le cours d’une bien longue carrière, rencontré un seul qui n’attribuât à la peine de mort une grande puissance préventive et même la seules à leurs yeux, réellement efficace ; excellens observateurs cependant et admirablement placés pour bien voir. Il y a peu de jours encore que l’un des plus habiles et des plus considérables n’hésitait pas à s’engager autant que jamais sur la question avec cette foi pleine et entière que rien jusqu’ici n’a pu ébranler.

Si j’osais invoquer mon propre témoignage, j’ajouterais que plus d’une fois aussi il m’a été donné de surprendre le même sentiment chez quelques-uns de ces grands coupables que la pratique la plus familière de la vie et des habitudes des malfaiteurs avait dès longtemps initiés, à leurs impulsions les plus intimes et les plus vraies : je n’en citerai qu’un seul, mais le plus fameux entre tous sans contredit, ce même Lacenaire dont je viens de prononcer le nom. Allant droit au cœur même de la difficulté, sans se perdre dans de vains discours, et prenant pour exemple une des circonstances les plus mémorables de sa vie de malfaiteur, il racontait donc un jour, et à

  1. Je ne considère pas comme pouvant sous ce rapport faire autorité l’opinion de deux ou trois gouverneurs des plus petits états de l’Amérique du Nord (Rhode-Island, Michigan et Wisconsin), non plus que celle de quelques jurisconsultes de très petits états allemands (Anhalt-Dessau, Nassau et Oldenbourg, qui écrivent tous sur ce texte à leurs amis, ceux-ci, bien entendu, partisans déclarés de l’abolition. On voit que des deux côtés de l’Atlantique la base d’une prétendue expérience, réduite à ces termes, serait bien étroite, mais il paraît de plus qu’à défaut de statistique régulière ou pour toute autre cause, les élémens n’en peuvent même pas être soumis à un contrôlé sérieux ; puis il semblerait que, du moins sur certains des points indiqués, cette prétendue expérience, d’une date si récente, est très sujette à contestation. Dans tous les cas, fût-elle ancienne, notoire et même très vérifiée, il n’en faudrait pas moins reconnaître qu’elle se serait accomplie dans des conditions tellement éloignées de celles qui règlent les courans si complexes et si divers de nos grands états européens, qu’on ne pourrait, en ce qui les concerne, en tirer aucune indication légitime et acceptable :